Les femmes kurdes assassinées par des barbouzes ?
10.01.2013, 20:53, heure de Moscou |
Photo: AFP |
Les Kurdes sont les enfants mal-aimés de l’Asie. Déjà Alexandre le Grand leur avait refusé la création de leur Etat national.
Et cela continue depuis plus de deux millénaires et demi.
On sait que Saddam Hussein en a gazé dans le Nord de l’Irak et qu’Ankara tenait leur problème pour caduc.
Et voilà que maintenant à la veille des événements néfastes qui se préparent à la frontière turco-syrienne, les Turcs cherchent à tâtons et pour la première fois d’ailleurs une solution aux problèmes ancestraux de la reconnaissance du statut officiel de tout un peuple tiraillé entre les Léviathans étatiques de la région proche-orientale.
On comprend facilement que l’assassinat de trois femmes kurdes a eu un effet retentissant. Exécutées de sang froid en plein cœur de Paris, ces femmes activistes ont péri dans une affaire des plus hermétiques qui suscite nombre de réactions contradictoires de la part des autorités françaises, européennes et turques.
Curieusement, la Russie se sent aussi concernée.
Compte tenu de l’acuité du problème nous avons décidé d’interroger notre spécialiste des relations internationales, l’un des doyens du journalisme français, Dimitri de Kochko, qui a passé plusieurs années de sa vie au Pakistan.
La Voix de la Russie. Monsieur de Kochko, que pensez-vous de l’assassinat de trois femmes kurdes à Paris ?
Dimitri de Kochko. Evidemment je ne lis pas ni dans le marc de café, je n’ai, malheureusement pas d’information particulière, mais j’ai mes arguments.
D’abord ce n’est pas n’importe qui ces trois femmes.
C’est la fondatrice du Parti des travailleurs de Kurdistan, une autre est représentante du Congrès National du Kurdistan à Bruxelles et l’autre est une militante qui se trouvait là.
Elles ont visiblement été tuées par des professionnels, une balle dans la tête, personne n’a rien entendu. Les cadavres n’ont été découverts que dans la nuit.
Donc visiblement il s’agit d’un meurtre commandité. A priori l’implication d’un Etat n’est pas exclue.
Maintenant à qui le crime profiterait-il ? Parce que ce n’est pas évidemment la première fois qu’il y a des problèmes à Paris parmi les Kurdes et avec les Kurdes. Les Kurdes sont très surveillés par la police française par ailleurs. Et il y a eu plusieurs fois des tensions assez importantes.
Ce que l’on peut quand même remarquer c’est que cette fois-ci les Turcs au niveau officiel, c’est-à-dire celui de Recep Tayyip Erdogan, premier-ministre, visiblement allaient vers un arrangement ou semblaient aller vers des arrangements avec le PKK, et les négociations sont en cours avec Abdullah Öcalan qui est leur chef et qui est détenu depuis les années 90 à l’isolement dans une prison située sur une île et les porte-paroles turcs semblent dire qu’il pourrait y avoir un accord. Et c’est la première fois depuis 1984 !
Donc on peut dire que si cet accord est réel et que s’il aboutit à quelque chose, on peut se demander qui aurait intérêt à nuire à cet accord ?
Les pistes sont soit des organisations extrémistes turques qui ne veulent pas entendre parler d’accord avec les Kurdes. C’était la politique précédente de la Turquie.
Recep Tayyip Erdogan, lui, semble avoir changé de politique pour deux raisons : la première c’est qu’il suit une politique dite « néo-osmanienne », c’est-à-dire axée plutôt sur l’Empire Ottoman, l’influence régionale. Et donc il est moins gêné que les pan-turkistes au sens propre de l’héritage kémaliste de la Turquie, qui avaient tendance de ne pas tolérer les autres nationalités, et donc les Kurdes !
Même la langue kurde a été interdite en Turquie.
Ces « néo-osmaniens », eux, sont plus ouverts aux différentes ethnies, y compris les Kurdes à l’intérieur de la Turquie, puisqu’ils ont une vision plus impériale, ils veulent élargir leur influence régionale, y compris en Asie Centrale.
La Russie est donc directement concernée par cette politique osmanienne !
Ce seraient des extrémistes pan-turcs, je dirais, qui ne seraient pas d’accord avec cette vision osmanienne basée sur l’islam, défendue par le gouvernement actuel.
D’autre part, on peut penser aussi que la politique actuelle et ce « néo-osmanisme » s’est d’autant plus renforcée que les Turcs se sont heurtés à la question kurde en Syrie ! Parce que les Kurdes sont à cheval sur plusieurs pays ! C’est là leur drame.
C’est qu’ils sont en Irak, en Turquie, en Syrie ; ils sont même présents dans le Caucase ex-soviétique.
Mais avec la Syrie, les Turcs ont pensé qu’ils pourraient assez facilement intervenir en Turquie y compris dans la région du Nord où vivent des Kurdes syriens.
Or ces Kurdes syriens, même s’ils n’avaient pas beaucoup de sympathie pour le régime de Bachar al-Assad, ont encore moins de sympathie pour les différents groupes islamistes à différents degrés qui constituent aujourd’hui l’opposition armée au régime baassiste.
Et quand les Turcs ont été attaqués… Vous vous rappelez les conflits à la frontière, les échanges de tir, l’avion turc abattu par les Syriens…
Tout cela est lié aussi, sans doute, au Kurdistan syrien… Et dans quelle direction les choses sont-elles allées, on ne le sait pas trop mais c’est peut être aussi l’une des pistes… Quelqu’un qui aurait quelque chose à dire par rapport à la politique turque et ces Kurdes-là.
Et puis, évidemment, il pourrait s’agir d’un règlement de comptes au sein même des organisations kurdes. Parce qu’ils ne sont pas forcément tous d’accord entre eux. Les mêmes Kurdes, les Turcs, par exemple le gouvernement turc a tendance à entretenir de bonnes relations avec le Kurdistan irakien qui est quasiment autonome et presqu’indépendant par rapport au gouvernement irakien…
Vous voyez, il y a des contradictions aussi au sein des mouvements, des partis, voire dans les différents pays où hébergeant une minorité kurdes.
Donc ce sera difficile à trouver ! En tout cas pour les Français il est bien évident que ce genre de règlement des comptes sur le territoire national par des gens très compétents est évidemment totalement intolérable. Et c’est ce qu’a dit Manuel Valls en se rendant sur les lieux du crimes ce matin ».
On ne peut qu’ajouter que peu de chose à cet exposé de M. de Kochko qui a peut-être omis une thèse considérée comme parfaitement tangible.
Les analystes s’aperçoivent de plus en plus de l’atomisation du contexte politique et social provoquée par l’ingérence américaine dans la région du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord.
Le tissu social se décompose. Les peuples désapprennent la cohabitation. Le chaos s’installe. Et cela continue crescendo. Il est clair que la tentative de la Turquie pour trouver un terrain d’entente avec les Kurdes sous-entend la création d’une puissance régionale sous les auspices de la grande idée de renaissance ottomane.
Autrement dit, grâce aux efforts de M. Erdogan, la Turquie pourrait contribuer à créer un centre de stabilité dans la région, ce qui va visiblement à l’encontre des objectifs des fauteurs de troubles.
Alors pour torpiller les négociations et semer la pagaille, on aurait recouru à la bonne vieille méthode de l’assassinat provoqué. On tue un innocent en rejetant la faute sur l’éventuel intéressé, la Turquie en l’occurrence.
Les peuples se chamaillent et la pacification devient incertaine. Un tel scénario a été déjà évoqué dans le célèbre film américain « The Bourne Identity » (2002) où un leader africain a été assassiné par les commandos des services secrets américains pour saboter les pourparlers entamés par les belligérants.
Dans le film l’assassinat a eu lieu à Paris. Le parallélisme est évident.
Et on en déduit que la guerre est dans la ligne de mire de ceux qui sont en train de redistribuer les cartes sur le globe. La Russie pourrait l’empêcher, car il y va de la sécurité de ses frontières méridionales. T
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Source: http://french.ruvr.ru/2013_01_10/Femmes-kurdes-assassines-par-les-barbouzes/