L'exode intérieur des Afghans de la Kapissa
Par Maeva BambuckPublié le 13/11/2012 à 18:22
Des enfants afghans dans un camp de réfugiés à Kaboul, le 12 novembre dernier.Crédits photo : MOHAMMAD ISMAIL/REUTERS
2000 habitants des ex-zones contrôlées par la France végètent dans des camps de fortune près de Kaboul.
La tunique traditionnelle couverte de boue, Zargai semble revenir d'une longue journée de labeur. Mais ce jour-là encore cet ancien habitant de Tagab n'aura gagné que 100 afghanis, soit un euro cinquante, en consolidant la cabane en terre d'une voisine à Nasaji Bagrami, un camp de déplacés de la banlieue de Kaboul. «Je ne trouve qu'une ou deux journées de travail par semaine», explique-t-il. «Ce n'est pas suffisant pour faire vivre ma famille.»
Zargai a fui le district de Tagab, dans l'est de la Kapissa, avec sa femme, sa mère et leurs quatre enfants au moment même où les Français s'en retiraient, laissant le contrôle de la zone à l'armée afghane et à un bataillon américain.
Il reçoit chez lui: une pièce au toit de tôle au milieu du camp et une cour intérieure délimitée par des murs d'argile. Zargai dit avoir quitté sa terre natale après la mort de son père, de son frère et de deux de ses neveux, lors d'affrontements entre les insurgés et les forces de l'Otan dans son village de Jalukhil.
Selon ses dires, une bombe ou un mortier serait tombé sur leur maison. «À Jalukhil, nous ne prenons pas parti», souligne Zargai, «mais nous sommes pris entre la base militaire qui se trouve non loin du village, et les talibans.»
À soixante kilomètres au nord de Kaboul, Tagab a été le théâtre d'affrontements intenses entre les insurgés et les forces françaises. En quatre ans de présence dans le district, 44 soldats français y ont trouvé la mort, soit la moitié des soldats français tombés en Afghanistan depuis le début du conflit.
Dans des villages comme Jobar et Jalukhil, la population est à la merci des talibans. Lorsqu'une fillette de 6 ans a été retrouvée décapitée à Jalukhil au mois d'août, les autorités régionales ont refusé d'envoyer des policiers enquêter sur place, jugeant la mission trop dangereuse.
Le froid, premier péril
Les résidents du camp interrogés disent tous avoir fui les violences et la pauvreté qui en résulte.
Selon l'ambassade de France, ils seraient environ 2000 déplacés de Kapissa et de Surobi, les anciennes zones de contrôle françaises, à s'entasser dans six camps spontanés de la capitale. Ils y découvrent vite que leur statut ne leur laisse aucune chance d'intégration. Installés dans des campements illégaux, ils sont oubliés des aides de l'État afghan.
La précarité fait le reste: l'hiver dernier 14 enfants de moins de cinq ans sont morts de froid dans le camp de Bagrami.
Par le biais d'ONG comme Solidarités International, l'État français offre pourtant aux déplacés de Kapissa-Surobi une aide alimentaire l'hiver, ainsi que plusieurs programmes de formation professionnelle.
Un soutien qui devrait se poursuivre, à travers le traité d'amitié franco-afghan entré en vigueur le mois dernier, qui prévoie une aide de plus de 300 millions d'euros sur cinq ans. Le pôle de développement de l'ambassade de France à Kaboul s'est par ailleurs donné comme objectif de renverser le flux migratoire de ces déplacés internes. En mettant à leur disposition des cliniques mobiles, et en employant les hommes en âge de travailler sur les projets financés par la France en Kapissa, comme la construction d'un hôpital de vingt lits à Tagab, ils espèrent les convaincre de rentrer sur leurs terres natales.
Un effort qui serait vain si la situation sécuritaire en Kapissa se détériorait après le départ des derniers soldats français, dans quelques semaines.
Car les déplacés ne rentreront pas au prix de leur vie, comme le rappelle le chef du camp de Bagrami, Enzer Gul. Le sexagénaire redoute une répétition du chaos qui a suivi le retrait soviétique.
«Après le départ de la coalition, la situation sera calme pendant un temps», prédit Enzer Gul, «puis les combats reprendront de plus bel et les talibans prendront la Kapissa.
Puis ils prendront la ville de Bagram et enfin, le palais présidentiel, ici, à Kaboul.
Et le gouvernement tombera, comme celui du roi Najibullah.»
Un pronostic qui fait frémir.
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Source et publication: http://www.lefigaro.fr/international/2012/11/13/01003-20121113ARTFIG00559-l-exode-interieur-des-afghans-de-la-kapissa.php