ENTRE ARABISME ET ISLAMISME
l’expulsion des Chrétiens, le futur règne ottoman et le silence d’un très vieux pape
Michel Lhomme
le 06/11/2012
En Syrie, les Chrétiens – 10 % de la population – ont de bonnes raisons de s’inquiéter d’un changement de régime.
Comme en Egypte, en Libye ou en Tunisie, les Islamistes constituent le fer de lance d’une opposition armée qualifiée pourtant par les Occidentaux de « démocratique » !
Mais les Islamistes sont accompagnés et soutenus par les Turcs !
l'arabisme de Bachar Al-Assad
Sur le terrain des discours politiques, on note du coup cette inflexion, un glissement de sens, l’usage anachronique, par exemple, du terme « arabisme » dans les discours de Bachar Al-Assad. En effet, depuis quelque temps, ce mot d’ « arabisme » était devenu rare au Proche-Orient.
L’« arabisme » est un concept devenu introuvable dans les slogans et les discours révolutionnaires d’Egypte, de Tunisie ou encore de Libye. On le retrouve en sorte comme déplacé et incongru au sein du Conseil National Syrien qui militerait, je cite, pour une « République arabe syrienne », perdant du même coup et c’est regrettable le soutien de l’opposition kurde ou chrétienne.
Dès lors, en utilisant le terme d’ « arabisme », Bachar Al-Assad entérinerait-il le démantèlement inévitable de la Syrie et admettrait-il que le fléau de la balance de l’histoire penchera inexorablement, au contraire, vers l’Islamisme des Frères musulmans ?
Mais c’est aussi une drôle de revanche du second concept : l’« islamisme » ! Quand à la fin du XIXe siècle, l’Empire ottoman vit ses dernières heures, des voix turques se levèrent pour tenter de sauver l’empire au nom du Califat, au nom de l’Islam mais l’heure était alors aux nations, au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
A Istanbul, les Jeunes Turcs laïcards et occidentalisés prirent le pouvoir et abolirent tous les particularismes qui avaient permis aux nations de l’Empire de survivre. Les millets n’existaient plus, la laïcité triomphait.
Et les Chrétiens en furent les premières victimes. Reconnus citoyens ottomans, alors que l’Islam ne leur reconnaissait qu’un droit d’étranger vivant sur le territoire de l’empire, les chrétiens seront, douceur du droit « républicain », successivement massacrés (1840, 1860, 1905, 1915) ...
L’empire ottoman alors se disloque et les Etats du Proche-Orient sont créés. Ils ont un idéal, une « identité » : ils sont arabes. Les Ottomans sont turcs. Et au nom de cette arabité, ils se sont battus contre les Ottomans. C’est Lawrence d’Arabie en keffieh dans les déserts arides, c’est l’Orient impénétrable et mystérieux ! Le concept d’arabité a alors été mis en avant par les Chrétiens et les Occidentaux (l’Angleterre et la France) qui se cherchant un point commun avec leurs voisins musulmans, sont tombés en quelque sorte sur l’arabité.
Les Ottomans, turcs et non pas « arabes », pendront du coup pour trahison, des Chrétiens et des Musulmans, à Damas comme à Beyrouth.
Du coup, peu à peu, les mots en isme étant la règle, c’est au nom de l’arabisme que les révolutions naquirent au Caire avec Nasser, à Tripoli avec Kadhafi, à Damas avec Assad Père, à Bagdad avec Saddam Hussein.
En Algérie, le FLN contre les messalistes se revendique arabe et musulman et prône la charia par exemple contre l’alcool.
Aujourd’hui, la confrérie islamiste des Frères musulmans n’attend plus que la chute d’Assad, la mise en place des rêves communautaristes des Tunisiens et des Libyens alors que, de son côté, les Turcs rêvent de reconstruire l’Empire jusqu’en Afrique, jusqu’au Gabon.
Pourtant, on se garde bien de rappeler aujourd’hui qu’ils ne sont pas arabes, qu’ils sont simplement musulmans et puis c’est tout. Ils ont la puissance militaire et économique et même disposent d’une certaine hégémonie culturelle.
Au Moyen-Orient, les feuilletons turcs sont sur toutes les chaînes, doublés en arabe. Les Turcs ne seraient-ils pas alors devenus « islamistes » ?
Et encore une fois se pose la question de la place des Chrétiens dans le monde arabe de demain, un monde devenu d’abord musulman et secondairement arabe. La réponse est courte : ils n’y ont plus leur place.
C’est la route de l’exil des réfugiés orientaux de l’ «islamisme» ou de la renaissance turque, ils partent en Europe, aux Etats-Unis ou en Australie mais on les prend, à l’aéroport, pour des terroristes, de possibles poseurs de bombes, de fieffés arabisants !
Benoit XVI n’en dit pas un mot
Aujourd’hui dans le monde arabe, et d’ailleurs dans le monde arabo-musulman dans son ensemble, se pose cruellement le problème des minorités chrétiennes. Celles-ci partent les unes après les autres, par pans entiers et le pape, Benoit XVI n’en dit pas un mot, n’active aucune diplomatie à sa dimension, ne lève pas le ton.
Benoit XVI est peut-être un grand intellectuel mais il aura été un pleutre politique, pour nous, un très mauvais pape, un médiocre diplomate.
Si le régime d’Assad tombe, les chrétiens de Syrie partiront en grand nombre dans le silence général du Vatican.
De leur côté, les chrétiens du Liban, surtout les maronites, continuent de partir eux aussi. On dira pour des raisons davantage socioprofessionnelles : ils ont un niveau éducatif très élevé puisqu’ils sont, la plupart du temps, dans des écoles d’élites, où ils apprennent notamment les principales langues étrangères internationales qui leur serviront demain pour faire du busines.
Admettons : le problème est qu’après leurs départs, en général, ils ne reviennent plus au Liban ou à Beyrouth.
Concernant les Coptes d’Egypte, on pourrait être moins pessimiste parce qu’ils possèdent une masse démographique importante : ils sont probablement entre 8 et 10 millions.
L’enracinement très profond et très ancien dans le pays leur permettra probablement de tenir encore longtemps, et puis les coptes ne se laissent pas faire. Tawadros
II est devenu dimanche 4 novembre, à soixante ans, le chef des Coptes orthodoxes d’Egypte. En Israël, les chrétiens sont encore libres mais Bethléem est encerclé.
En revanche, dans le reste du monde arabe, la situation des chrétiens est de plus en plus préoccupante, et l’on peut sérieusement être pessimiste en ce qui concerne la présence à long terme des communautés chrétiennes au Moyen Orient.
Source et publication: http://metamag.fr/metamag-1028-Entre-Arabisme-et-Islamisme-l’expulsion-des-Chretiens--le-futur-regne-ottoman-et-le-silence-d’un-tres-vieux-pape.html