Mali. Quatre signes qui montrent que la guerre approche à grands pas
MALI – Dans le désert du nord du Mali, on parle de centaines de jihadistes qui gagneraient les villes. D'autres évoquent des drones bruissant dans l'air chaud. Et, dans les bureaux des chancelleries, les téléphones sonnent un peu plus qu'à l'accoutumée. Même le candidat à la présidence américaine Mitt Romney s'est fendu d'un mot sur le Mali lors de son débat avec Barack Obama, lundi 22 octobre.
Les signes ne trompent pas, l'atmosphère est à la guerre.
1 Poussivement, l'ONU passe la seconde
A croire qu'avant le passage du président français, François Hollande, à la tribune des Nations unies le 26 septembre, personne ne se préoccupait de la crise malienne.
La Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et l'Union africaine (UA) avaient pourtant mis leur grain de sel dès le coup d'Etat de mars, suivi de la prise du nord du Mali par les rebelles. Visites officielles, conférences, médiation du Burkina Faso et déclarations outrées ont émaillé plusieurs mois de négociations.
Mais elles étaient restées sans effet.
Il a fallu attendre le 14 septembre et la supplique à l'ONU du président malien par intérim Dioncounda Traoré, revenu aux manettes après avoir été presque battu à mort par des manifestants.
Deux jours plus tard, lors d'une réunion sur le Sahel à New York, François Hollande réclame "au plus vite une nouvelle convocation du Conseil de sécurité de l'ONU" pour répondre à la menace terroriste. Le 15 octobre, le Conseil de sécurité adopte la résolution 2071.
Laquelle demande au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, de présenter un rapport "sur la base duquel le Conseil de sécurité pourra autoriser dans 45 jours le déploiement d'une opération africaine au Mali", écrit leQuai d'Orsay.
2 L'Algérie concède un feu vert
La nouvelle est dans Le Monde du mardi 23 octobre : "L'Algérie ouvre la porte à une opération militaire au nord du Mali".
Le journal s'appuie sur des "sources de la défense"qui affirment avoir reçu "un premier accord tacite de l'Algérie pour soutenir une opération visant à chasser les groupes terroristes islamistes qui ont annexé le nord du Mali, accord qui va jusqu'à tolérer l'inévitable présence à terre de quelques unités étrangères, notamment françaises".
Faut-il y voir la conséquence des signes de bonne volonté de François Hollande ? L'Algérie – qui partage 1 300 km de frontières avec le Mali – est un acteur incontournable dans cette partie de l'Afrique, et avait jusque-là tenu une position ambivalente. Alger, qui a aussi des otages au nord du Mali, a privilégié une solution politique.
Le pays a négocié avec les islamistes maliens d'Ansar Dine, mais pas avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Dirigé exclusivement par des Algériens, Aqmi, ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), est une vieille connaissance des services algériens. Alors forcément, à Alger, on ne s'enthousiasme pas de ce futur coup de pied dans la fourmilière : les ennuis d'hier pourraient repasser la frontière.
Mais un mouvement dissident d'Aqmi (voir cet organigramme de Jeune Afrique), le Mujao, aurait poussé le bouchon trop loin en revendiquant deux attentats contre des casernes dans le sud de l'Algérie, croit savoir Le Monde.
3 Le plan se met en route
L'ONU et l'Algérie dans la poche, l'opération peut prendre corps.
Une force militaire, la Mission de la Cédéao au Mali (Micema), est actuellement en cours de création. Quelque 3 000 soldats de pays de la Cédéao doivent intervenir, avec la bénédiction de l'ONU.
La France, qui doit apporter un soutien logistique avec les Etats-Unis, met les bouchées doubles.
Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, veut une intervention d'ici "quelques semaines".
L'idée serait d'intevenir avant les fortes chaleurs du printemps.
En coulisse, la France s'active. A Paris, les Français et les Américains ont discuté de la "sécurité au Sahel", mardi 23 septembre, entre "responsables de haut niveau".
Au Mali, l'envoyé spécial au Sahel, Jean Félix-Paganon, a annoncé que la France avait décidé de reprendre sa coopération militaire, interrompue depuis le coup d'Etat de mars.
Il a évoqué l'envoi d'instructeurs pour former l'armée malienne, sous-équipée et démoralisée, dont on imagine mal qu'elle puisse être remise sur pied en "quelques semaines".
Et, toujours dans Le Monde, ont percé les premiers contours du plan d'intervention entériné par l'ONU.
D'abord, en janvier 2013, "consolidation de la souveraineté malienne sur le sud du pays et sa capitale", puis "mise à pied d'œuvre de trois ou quatre bataillons maliens sur lesquels les armées africaines et leurs alliées européennes pourront compter" et, après la reprise de plusieurs villes, "stabilisation du nord" en mars. Des bombardements auraient lieu.
Selon Jeune Afrique, le plan s'inspire du modèle testé avec succès en Somalie à partir de 2010, avec "regonflage du moral des soldats", et européanisation de la coopération.
4 Premiers mouvements sur le terrain
Sur le terrain, la France s'apprêterait à déployer des drones de surveillance, affirme l'agence AP, reprise par Le Nouvel Obs.
L'information fait écho à un article duWashington Post du 2 octobre présentant un réseau américain de petites bases aériennes situées en Afrique et vouées à l'espionnage de groupes terroristes. Le journal américain ajoutait que des dizaines de militaires étaient déployés à Ouagadougou, au Burkina Faso. Enfin, comme le rappelle Slate Afrique, les rumeurs de drones occidentaux survolant le Sahel se font insistantes.
En face, les jihadistes rassemblent leurs forces, selon l'AFP. Une dépêche de l'agence, qui s'appuie sur des témoignages confirmés de source sécuritaire malienne, affirme que des "centaines" de jihadistes ont rejoint plusieurs villes du nord du Mali, le week-end dernier.
Selon l'AFP, ils viennent de l'étranger, principalement du Soudan et du Sahara occidental, pour se battre aux côtés des islamistes.
Des informations relativisées par RFI, qui parle de "mouvements" sans confirmer un afflux de combattants étrangers.
Contactée par francetv info, Anne Giudicelli, spécialiste du terrorisme et de l'islamisme, estime que "ce n'est pas très clair", évoquant des "sources très divergentes" et une possible "intoxication". "Je ne sais pas s'il y a afflux ou appui de centaines de gens du Soudan ou de Sahraouis", abonde Dominique Thomas, chercheur associé à l'Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (IISMM) de l’EHESS. Lui évoque plus volontiers le recrutement local que mènent les groupes islamistes.
Et n'exclut pas que l'annonce de la convergence de combattants étrangers puisse "faire partie d'une intoxication", par exemple pour "faire prendre conscience de l'importance de l'urgence d'une intervention, au risque de voir ce sanctuaire se développer". La guerre de la communication pourrait avoir déjà commencé.