> Entretien réalisé par Robert Ménard
> La France investira autant pour sa défense en 2013 qu’en 2012.
Mais, au regard de la programmation en cours décidée par Nicolas Sarkozy pour la période 2009-2014, le simple maintien du budget signifie une diminution de l’effort de défense.
Boulevard Voltaire a interrogé Georges-Henri Bricet des Vallons, docteur en science politique, chercheur associé à l’Institut Choiseul.
Premier volet.
> BV. Vous expliquez, à propos de nos armées, que la « phase d’autodestruction semble désormais irrémédiablement engagé ». Vous n’exagérez pas un peu ?
> GHBdV. Le terme « autodestruction » peut paraître grandiloquent mais il se réfère précisément à une citation célèbre du général de Gaulle pour qui la Défense est le « premier devoir de l’État » et qu’il n’y saurait manquer sans se détruire lui-même. Maintenant, je n’annonce pas l’apocalypse mais un déclassement brutal de notre puissance militaire.
Si nous persistons à faire du budget de Défense la variable d’ajustement perpétuelle des dépenses publiques, nous passerons du 5e budget de défense mondial au 20e en dix ans, avec le PIB et la puissance géoéconomique associés. Les deux piliers fondamentaux du régalien, ce sont les budgets de l’Éducation nationale et de la Défense. Si l’État se coupe une jambe, voire les deux (ce qui se produit avec la destruction idéologique de l’intérieur que subit l’enseignement), il ne peut attendre rien d’autre que la claudication ou l’impotence la plus radicale.
Nous sommes sur le chemin de la Grèce. Rappelons que la France a engagé 159 milliards d’euros de garanties dans le Fonds européen de solidarité, soit cinq fois son budget annuel de défense. Sur ce volume, 30 milliards ont déjà été brûlés à pure perte dans la dette grecque. Grèce qui fera de toute façon défaut (ce qui est en partie déjà accompli). Si nous continuons sur la pente de l’ultra-récession, nous atteindrons le fond du gouffre dans deux ans.
> Par ailleurs, en comparaison des auditions des chefs d’état-major devant la commission de Défense de l’Assemblée nationale, mon point de vue est presque tempéré et raisonnable.
La situation que j’expose couvre à peine un tiers des dossiers critiques qui affectent l’état de nos forces. Le CEMA (Chef d’état-major des armées) annonce une « rupture irréversible » des capacités et des cycles d’entraînement, le CEMM (chef d’état-major de la marine) une « rupture franche », le Sénat parle lui d’« armée Potemkine ».
Si les chefs d’état-major, habitués à la plus grande circonspection et retenue, déclarent que la cote d’alerte est atteinte, cela signifie que le bateau est en train de couler. La France compte suffisamment d’effondrements systématiques de sa politique de défense dus à une absence de stratégie et à une démission du politique sur ces deux derniers siècles pour qu’on alerte énergiquement de la situation.
Il faut lire à cet égard l’ouvrage 1 d’un énarque fraîchement émoulu de sa promotion qui trace un parallèle symptomatique entre le corps professoral de l’ENA et l’aveuglement propre au corps des officiers de 1940 que décrivait Marc Bloch. Nous sommes toujours en 1940. L’état de fatalité que subissent nos armées a été fabriqué politiquement et c’est politiquement qu’il peut être défait. Le maintien des engagements budgétaires, déjà a minima, de la précédente Loi de programmation est absolument nécessaire. Si nous passons sous la ligne de flottaison, nous casserons l’outil.
> Tout cela est engagé depuis des années et l’arrivée de la gauche au pouvoir ne va pas améliorer les choses…
> En réalité le gouvernement socialiste ne fait que parachever la politique de l’UMP en la matière. Ce mouvement était prédictible – et il a été prédit par maints officiers supérieurs qui ont depuis quitté l’institution –, depuis 1996 et l’illusoire Refondation chiraquienne. Je ne dis pas que les réformes n’étaient pas nécessaires.
Elles l’étaient, mais la plupart des grandes réformes structurelles qui auraient dû se traduire par un surcroît d’efficacité ont en réalité entraîné une paralysie et un affaiblissement. Pour la simple et bonne raison que les révolutions coperniciennes imposées par le politique ne visait pas prioritairement une amélioration de l’outil mais avaient pour première ambition de ponctionner le maximum de ressources au mépris de la cohérence de notre modèle d’armée et du respect de la condition militaire.
Les armées représentent un réservoir idéal puisque c’est la seule institution à ne pas être syndiquée et à ne pas disposer d’un pouvoir de nuisance médiatique. S’en prendre aux armées est le témoignage d’un singulier manque de courage alors que les réductions pourraient être orientées vers d’autres registres de la dépense publique, bien moins cruciaux en termes d’intérêts stratégiques.
Au final, le bilan de la RGPP dans la Défense est un échec : la rationalisation a coûté plus cher qu’elle n’a rapporté.
G.-H. Bricet des Vallons, le 28 novembre 2012