Elle avait créé un réseau de prostitution, fameux dans les années 1960-1975. Madame Claude est décédée samedi, à Nice, à l’âge de 92 ans.
Réalité et fiction
Sur des coupures de presse, c’est une petite blonde à grosses lunettes d’écaille, cheveux courts, chemisiers en soie et col lavallière impeccablement noué.
Sur grand écran, dans le Madame Claude de Just Jaeckin (1977), elle est campée par l’impériale Françoise Fabian. La bande son est signée Serge Gainsbourg, classe.
Retour sur la vie d’une des plus célèbres « mères maquerelles » – elle aurait détesté l’expression – du siècle dernier.
Une enfance angevine
Avant de s’appeler « Claude », elle est née Fernande Grudet, le 6 juillet 1923 à Angers. Sa mère est issue d’un milieu modeste. Son père tient un café rue Diderot et vend des sandwiches à la gare pour arrondir ses fins de mois. Fernande n’a pas connu sa sœur aînée, Joséphine, morte en 1924 à l’âge de 19 ans.
La gamine reçoit une excellente éducation catholique à l’institution Jeanne-d’Arc, puis à l’Immaculée Conception.Le père succombe à un cancer du larynx en 1941. Fernande a 18 ans.
Gagner sa vie
Fernande est mère célibataire, « fille mère » comme on disait à l’époque, avec mépris. Elle s’installe à Paris, enchaîne les petits boulots, se prostitue.
A la fin des années 1950, elle crée son premier réseau de prostitution de luxe au 32, rue Boulainvilliers, dans le XVIe arrondissement. Plus tard, elle officiera au 11, rue Saint-Gilles, dans le quartier du Marais.
Le système call-girls
Les maisons closes sont fermées depuis la loi de 1946. Madame Claude ne tient donc pas un bordel. Tout le système repose sur son carnet d’adresses et le téléphone. Elle met en relation les clients et les cinq cents filles qui ont travaillé pour elle. Elles sont des «call-girls», et surtout pas des putains, assure Madame Claude, « révoltée par ce mot dégradant ». Elle tient à jour les plannings, les fiches. La nuit se négocie jusqu’à 1 000 francs, voire plus. Madame Claude empoche au moins 25% des gains. En femme d’affaires avisée, elle dépose même sa marque, afin que personne n’abuse de son nom !
En 1975, « l’impresario » des call-girls aurait touché un pourcentage en trois ans, sur 1 631 rendez-vous galants, que le fisc évalue entre 100 000 et 140 000 francs par mois.
Le « cheptel » est composé de filles qu’elle veut belles (elle leur impose des opérations de chirurgie esthétique), de préférence cultivées, au courant de l’actualité, discrètes et disponibles.
De nombreuses filles se sont reconverties en mannequins, actrices, chefs d’entreprise, etc. Beaucoup se sont rangées bourgeoisement en épousant des clients fortunés.
Gratin mondain
Les clients sont riches et souvent célèbres : hommes politiques, artistes, diplomates, industriels, mais aussi policiers et barbouzes.
On cite les noms de John Fitzgerald Kennedy, du Shah d’Iran, de Giovanni Agnelli (fondateur de la Fiat), de Marlon Brando...
Elle ne dévoile pas le nom des Français. À la police et aux services de renseignements, elle refile sans doute parfois tuyaux et infos, ce qui lui assure une relative tranquillité.
Procès et prison
A partir de 1975, la roue tourne. Valéry Giscard d’Estaing est à la tête de l’État et Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur.
Le juge Bruguière entreprend de démanteler le réseau. Le fisc réclame 11 millions de francs ( 2,1 millions d’euros) à Madame Claude. Elle s’enfuit à Las Vegas.
Elle rentre en France en 1985. Fin décembre, elle est interpellée dans sa maison du Lot, proche de celle de son amie Françoise Sagan à Carjac. Elle est condamnée, purge quatre mois de prison.
Pour « préparer sa retraite », elle remonte un réseau de call-girls. Replonge. En 1992, elle est condamnée pour proxénétisme aggravé à trois ans de prison, dont trente mois avec sursis, et à un million de francs d’amende. Retour à la prison de Fleury-Mérogis.
Passé recomposé
Démêler le vrai du faux ? En 1975 paraît « Allô oui ou les Mémoires de Madame Claude », rédigé par Jacques Quoirez, le frère de Sagan. En 1994, elle publie « Madam », une autobiographie qu’elle signe « Claude Grudet ».
Madame Claude a aussi accordé des interviews à la radio et à la télévision, notamment en 1992 pour promouvoir ses Conseils de séduction en cassette vidéo.
On n’est pas obligés de croire ce qu’elle a dit. Elle a abondamment romancé et fantasmé son passé.
Oui, elle a eu une fille, s’est mariée deux fois. Non, elle n’est pas née dans une famille aisée, n’a jamais été déportée dans le camp de Ravensbrück, n’a pas eu trois frères.
Fin de vie
Elle s’était installée dans le Midi. Le Point a annoncé qu’elle est décédée samedi, dans un hôpital niçois, à l’âge de 92 ans.
Source et Publication: http://www.ouest-france.fr/
ET AUSSI
À 92 printemps, Fernande Grudet s’en est allée.
Ce nom ne dira probablement rien aux plus jeunes de nos lecteurs, mais pourtant, quand on pensait à Fernande, comme le chantait jadis Georges Brassens, c’était moins à Grudet qu’à Fernande…
Fernande Grudet n’était certes pas une sainte, car plus connue sous le sobriquet de Madame Claude, telles les pipes éponymes.
Petit détail : cette grande dame officia des années durant, celles du gaullo-communisme triomphant et du pompidolisme immobilier, en tant que maquerelle en chef de la Cinquième République.
C’est-à-dire que les demoiselles qui travaillaient pour cézigue épongèrent à peu près tout ce que comptait le gratin d’alors : la haute de la politique, du show-biz et de l’industrie.
Le grand registre de ses clients, peut-être parce qu’aux pages collées de foutre blanchi sous le harnais, n’en finit de faire fantasmer. Qui en était ? Qui n’en était pas ? Les rumeurs continuent encore d’animer les dîners mondains.
Dans les sûrs : le chah d’Iran, John Fitzgerald Kennedy et Giovanni Agnelli.
Dans les moins sûrs, voire même les incertains, la quasi-totalité du gotha mondain, national comme international – entre autres qualités, la dame savait exporter le savoir-faire à la française.
Avant le ministère du Redressement national d’Arnaud Montebourg et son Made in France, on n’avait donc pas notre pareil pour déjà bricoler gaulois et trombiner tricolore. À sa manière, Fernande Grudet fut une patriote d’avant-garde.
Mieux : une bienfaitrice en matière d’œuvres sociales. Ainsi, combien de gourgandines, par autre qu’elle maquées, auraient arpenté le bitume à la chasse aux asperges pour finir en maison de retraite ?
En effet, ses protégées, pour la plupart, ont conclu de beaux mariages bourgeois, chrétiens et chabroliens, ayant harponné le bon client, plein aux as, quoique légèrement vieillissant. Mieux qu’un bobinard de luxe, une agence matrimoniale…
Là, rumeurs toujours. Car si Fernande Grudet a bel et bien rédigé ses mémoires (Madam, Michel Lafon, 1994), la vieille carne s’est toujours obstinée à ne point donner de noms.
Pourtant, dans les dîners mondains plus haut évoqués, on parle d’actrices en vue et de femmes de ministres renommés…
Fernande Grudet a vu le jour en Anjou, chère douceur angevine. A grandi chez les bonnes sœurs, comme il se doit, à une époque où on ne disait pas : « Elle est bonne, ta sœur ? » Elle s’est lancée dans le tapin haut de gamme à une époque où le pain de fesse était encore toléré, heureuse époque que n’aurait sûrement pas reniée Saint Louis, monarque auquel on doit l’organisation administrative des bordels abritant ces filles de joie portant si bien leur nom.
Comme toujours, notre chère Fernande Grudet est tombée pour raisons fiscales. A fait quelques mois de zonzon et perdu tous ses sous et autres amis influents. La seule à ne l’avoir jamais lâchée ?
Françoise Sagan qui, en matière de consommation d’autres produits plus ou moins illicites, ne s’en ait jamais laissé remontrer par personne.
Aujourd’hui, l’affaire est close. Comme les maisons du même nom.
Bien à vous, Madame Claude.