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L' ÉTAT ISLAMIQUE N' EST PAS " TRÈS ISLAMIQUE " ! ( GABRIEL HASSAN )

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 Débat. 

Non, l’Etat islamique n’est pas “très islamique”

Par Gabriel Hassan

Source : courrierinternational, 17-03-2015

La une de The Atlantic de mars 2015. Monstage Courrier international

Daech est-il “très islamique” ? Cette formule de l’enquête approfondie de The Atlantic “Ce que veut vraiment l’Etat islamique” a suscité une foule de critiques, notant que le mouvement fait une lecture tronquée des textes et que les motivations religieuses sont secondaires pour ses partisans.

C’est “l’article de politique étrangère dont tout le monde parle cette semaine, et c’est mérité”, écrivait un chroniqueur du New York Times le 18 février à propos de l’article en une de The Atlantic, “Ce que veut vraiment l’Etat islamique” [publié en mars 2015]. 

Dès sa parution, le grand article de Graeme Wood sur les objectifs et l’idéologie de Daech a déclenché une avalanche de réactions. Jusqu’en Grande-Bretagne où le New Statesman a publié en une, le 6 mars, une longue réponse à la formule de The Atlantic : “l’Etat islamique est islamique. Très islamique.”

 

C’est peu dire que cette phrase – répondant elle-même à une déclaration de Barack Obama selon laquelle l’Etat islamique ne serait “pas islamique” – a fait polémique aux Etats-Unis. De nombreux commentateurs se sont élevés contre l’idée que la vision de l’Etat islamique (EI) serait “issue d’interprétations cohérentes et même instruites de l’islam”, comme l’écrit Graeme Wood.

“Hérésie”

Il y a un biais flagrant dans le fait d’ignorer les très nombreux religieux érudits du monde musulman dont les conclusions théologiques sont diamétralement opposées au révisionnisme radical de l’Etat islamique”, dénonce le journaliste Murtaza Hussain sur le site The Intercept. Et de citer la “Lettre à Al-Baghdadi”, le calife auto-proclamé, où “des érudits musulmans de premier plan du monde entier ont condamné les actions de l’EI sur des bases purement théologiques, comme une hérésie.”

Le magazine The Atlantic lui-même a publié sur son site l’opinion d’un professeur d’études religieuses, Caner K. Dagli, sous le titre L’islam bidon de l’Etat islamique. “Ce que les autres musulmans disent depuis le début, c’est que l’EI ne prend pas les textes au sérieux”, explique-t-il.

“Pendant des siècles, juristes et théologiens (…) ont mis au point des méthodes rationnelles et systématiques pour passer au crible les hadith [le recueil des actes et paroles du Prophète et de ses compagnons], qui sont souvent difficiles à comprendre ou paraissent contradictoires sur un même sujet. Ils ont rangé et classé ces textes selon leur degré de fiabilité (…). Mais l’EI ne procède pas de cette façon. Ses membres cherchent des bribes de texte qui soutiennent leur vision, prétendent que ces fragments sont fiables même s’ils ne le sont pas, et négligent tout ce qui va dans le sens contraire (…).”

Quant à l’idée que les combattants de l’EI manifestent un sérieux inhabituel en matière de religion et aux nombreuses références “aux débats juridiques et théologiques” dans les discours, l’universitaire souligne qu’il y a “une grande différence entre quelqu’un qui ‘émaille’ son discours d’images religieuses (…) et quelqu’un qui a vraiment étudié et compris les difficultés et nuances d’une immense tradition textuelle”.

Des novices

La réponse la plus complète à l’article de Graeme Wood est celle du journaliste Mehdi Hasan à la une du New Statesman. Celui-ci a interrogé toute une série d’experts sur les mécanismes de radicalisation, la théologie, les enquêtes d’opinion.

Marc Sageman, un psychiatre et ancien agent de la CIA au Pakistan, estime que “la religion joue un rôle certes, mais de justification” dans le parcours des terroristes. “Ce ne sont pas les plus religieux qui vont [combattre]”, remarque-t-il. “Les combattants occidentaux, en particulier, ont souvent redécouvert l’islam à l’adolescence, ou comme convertis.” Mehdi Hasan poursuit en citant un rapport des renseignements britanniques obtenu par The Guardian en 2008 :

“Loin d’être des religieux zélés, beaucoup des terroristes ne pratiquent pas régulièrement. Un grand nombre d’entre eux manquent de culture religieuse et pourraient (…) être considérés comme des novices. (…) Une identité religieuse bien établie protège en réalité contre la radicalisation violente.”

Mehdi Hasan met aussi en avant l’alliance “au cœur de l’Etat islamique” entre les islamistes violents d’Abu Bakr Al-Baghdadi et les restes du régime ba’athiste laïc de Saddam Hussein. “Si l’EI est un culte religieux apocalyptique, comme le pensent Wood et d’autres, pourquoi le représentant de Baghdadi en Irak, Abu Muslim Al-Afari Al-Turkmani, était-il un ancien officier de haut rang des forces spéciales de Saddam Hussein ?

Guidés par la colère

Le journaliste interroge aussi un théologien de renom de l’université Cambridge, Abdal Hakim Murad, ainsi que David Kenner du magazine américain Foreign Policy, qui insistent sur le rôle de l’occupation américaine en Irak dans la naissance de l’EI. Le premier explique ainsi : “les racines de l’EI se trouvent dans la rage contre (…) l’occupation de l’Irak à partir de 2003. Avant cette date, l’extrémisme salafiste existait à peine en Syrie et en Irak, même si les mosquées étaient remplies (…). Des hommes en colère, qui ont souvent souffert dans les geôles américaines, se sont emparés de l’interprétation la plus étroite et la plus violente qu’ils pouvaient trouver de leur religion.

Et dans un reportage récent à Zarqa en Jordanie, “un des foyers de radicalisme les plus connus du pays”, le journaliste David Kenner raconte sa conversation avec un groupe de jeunes supporters de l’EI.

“Aucun d’eux n’avait l’air particulièrement religieux. (…) Pas une fois la conversation n’a porté sur des questions de foi, et aucun n’a bougé de son siège quand l’appel à la prière a résonné. Ils semblaient guidés par la colère au sujet d’humiliations en tout genre, plus que par une exégèse détaillée des textes religieux.”

Le débat continue

Interrogé par Courrier international sur les réactions qu’a suscitées son article, Graeme Wood déplore que beaucoup des critiques “ne s’intéressent pas à l’article lui-même (…) mais à la question de savoir si l’EI est la meilleure représentation de l’islam, une question qui ne m’intéresse pas du tout”. Il rappelait également dans un tweet une phrase de l’article souvent ignorée : “Les musulmans peuvent rejeter l’EI, comme le fait l’écrasante majorité d’entre eux.

Le débat se poursuit : dans son numéro du 13 mars [2015], The New Statesman a publié une “réponse à la réponse” de Mehdi Hasan, signée du journaliste Tom Holland, qui écrit que “l’Etat islamique est fondé sur les textes sacrés musulmans”.

Gabriel Hassan
 
Source : courrierinternational, 17-03-2015

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