Syrie: l’incompréhensible politique étrangère de la France !
La politique étrangère de la France n’est pas « incompréhensible » comme le laisse entendre le titre duFigarovoxtribune. Elle s’inscrit dans l’orientation prise par M. Nicolas Sarkozy et son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, dès leur arrivée au pouvoir en 2007: une diplomatie belliciste, alignée sur la politique d’Israël, qui ne sert aucunement les intérêts de la France. [Arrêt sur Info]
Laurent Fabius ne gardera pas un grand souvenir de sa visite à Téhéran de la fin juillet. Elle avait été précédée d’un déchaînement d’attaques personnelles sur le thème du sang contaminé. Il voulait se faire accompagner d’une délégation d’hommes d’affaires . Mais les Iraniens ont fait savoir qu’il n’y aurait que des discussions politiques, très froides au demeurant: de contrats, pas question.
Le ministre des Affaires étrangères français s’attendait-il à autre chose après avoir tout tenté pour faire échouer les négociations entre Washington et Téhéran?
Il fut un temps où la France se démarquait suffisamment de la position des Etats-Unis pour jouer, le jour venu, un rôle d’intermédiaire, ce en quoi Fabius a échoué piteusement en juin dernier entre Israéliens et Palestiniens. Il fut un temps, sous Mitterrand notamment, où la France suivait les Etats-Unis mais en gardant un profil assez bas pour sauver la mise.
Avec Hollande, la France suit les Etats-Unis mais en tentant de faire de la surenchère: cela fut le cas avec l’Iran ; c’est toujours le cas avec la Syrie. C’est là le moyen le plus sûr de rester au bord de la route le jour où notre grand allié décide de changer de cap. C’est ce qui risque de nous arriver en Iran malgré la sympathie que notre pays inspire aux Iraniens.
Le décollage économique de l’Iran, imminent une fois les sanctions levées, pourrait se faire sans la France. II est peu probable par exemple que Peugeot récupère jamais le marché de 600 000 véhicules qu’il avait dans ce pays. C’est ce qui nous pend au nez aussi avec la Syrie.
«Traiter ses ennemis comme s’ils devaient être un jour nos amis ; traiter ses amis comme s’ils devaient être un jour nos ennemis» . Vieux proverbe arabe ou pas, c’est en tous les cas depuis belle lurette le B.-A.-BA de la diplomatie. Il est clair que ce B.-A.-BA, Fabius l’ignorait quand il est allé dire à la tribune des Nations-Unies en 2012 que le président Assad «ne méritait pas de vivre».
Un peu plus tôt, Juppé avait prétendu que le même Assad ne tiendrait pas plus de quelques jours. Trois ans et demi après, il est toujours là.
Ce n’est pas faute que la France ait engagé des moyens lourds pour le renverser. Fourniture massive d’armes et de matériels aux opposants, assistance technique de plusieurs dizaines de militaires français ( dont plusieurs sont morts ).
A la fin du mandat de Sarkozy, un accord entre la France et le gouvernement de la Syrie nous avait permis de récupérer une trentaine de prisonniers faits par l’armée syrienne. A son arrivée, Hollande a relancé la guerre.
Aide de la France aux djihadistes
Inutile de dire que nos armes et notre appui logistique sont allés exclusivement aux djihadistes, en particulier au Front al-Nosra, nouveau nom d’al-Qaida, dont les différences avec Daech sont bien minces. Les mêmes qui enlèvent ou massacrent les chrétiens – et d’autres.
La soi-disant Armée syrienne libre qui, disait-on , était l’objet de notre sollicitude demeure un fantôme – et un alibi pour aider les islamistes.
Pourtant le plus probable est que ce régime pris en grippe par notre diplomatie avec un rare acharnement tiendra. Il paraît certes aujourd’hui sur la défensive mais s’appuie sur un dispositif solide autour de Damas et de la frontière libanaise. La Russie ne le lâchera pas.
La population est mobilisée, notamment les femmes dont bien peu, même chez les sunnites, souhaitent tomber ente les mains des «barbus». Ceux qui soutiennent les forces rebelles, Israël en tête, ne veulent pas vraiment qu’aucune des deux, Daech ou al-Nosra, remplace le régime de Damas, se contentant de le maintenir en état de faiblesse.
La nouvelle politique américaine
Les accords entre Washington et Téhéran prévoient le maintien d’Assad jusqu’à la fin de son mandat et le relâchement progressif de la pression des islamistes, qui pourraient être recyclés contre la Russie.
La France qui avait de solides positions en Syrie, son ancien mandat, où on n’a pas oublié que Jaque Chirac fut le seul chef d’Etat occidental à assister aux obsèques d’Assad père (eut-il raison d’y aller? C’est une autre question), sera-t-elle cette fois encore prise de court par le revirement américain, déjà perceptible? Ce serait confirmer l’amateurisme dans laquelle a sombré notre diplomatie: Mitterrand qui fut le mentor tant de Fabius que de Hollande doit se retourner dans sa tombe.
Les arguments moraux ne sont plus pris au sérieux. Meurtres d’enfants à Homs, utilisation de gaz, lâchage de bidons d’essence sur les populations: au moins ces accusations là, portées à l’encontre du régime syrien, n’ont pas été avérées, ce qui n’en fait pas pour autant un régime tendre.
Un premier geste serait d’accorder une reconnaissance officielle au Lycée Charles de Gaulle de Damas que les parents d’élèves syriens ont continué de faire fonctionner en autogestion quand la France l’a fermé en 1991, témoignage émouvant d’un attachement aujourd’hui rare à la culture française.
Le second serait de lever l’embargo sur les produits pharmaceutiques particulièrement odieux quand on sait les dégâts que cette guerre absurde continue de faire dans la population civile.
Mais pour renouer le fil d’une relation interrompue, peut-être Hollande devra-t-il trouver un autre ambassadeur que Laurent Fabius?
Roland Hureaux | 18/08/2015
Roland Hureaux est essayiste et élu local.
Source: Le figaro.fr
ET AUSSI
Histoires et réalité de la guerre américaine (et européenne) contre la Syrie
Mercenaires de l’ASL: une création des services militaires occidentaux, glorifiés par des journalistes aux ordres (à commencer par Sofia Amara)
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Histoires et réalité de la guerre américaine [et européenne, NdT] contre la Syrie.
L’article du Washington Post du genre «mais rien ne s’est passé» dont nous avons parlé hier est loin d’être le seul à éviter de parler de la forte participation états-unienne [et européenne, NdT]dans la guerre contre la Syrie.
Un article du New York Times prétend, de manière éhontée :
Les États-Unis ont évité d’intervenir dans la guerre civile entre les rebelles et le gouvernement de M. Assad jusqu’à ce que le groupe djihadiste prenne avantage du chaos pour s’emparer de portions du territoire syrien et irakien.
McClatchy, d’habitude en meilleur forme, édite deux articles de Hannah Allam enquêtant sur la participation des États-Unis dans la guerre contre la Syrie. Ils sont, hélas, remplis de contre-vérités et de propagande administrative avalée toute crue. L’administration Obama prétendant encore que les jours du gouvernement Assad sont comptésn’est qu’une reprise de ce que les fonctionnaires de cette administration prétendent depuis le début. Cet article contient aussi ce boniment :
Les Américains étaient déterminés à garder les États-Unis à l’écart d’un conflit armé en Syrie, mais fermèrent les yeux alors que leurs alliés du Golfe envoyaient des armes à des groupes extrémistes affiliés à al–Qaida.
Il y a déjà quelques années le New York Times lui-même, ainsi que quelques autres journaux, relataient que la CIA était l’entité qui organisait le transfert d’armes, des milliers de tonnes, pour le compte des Saoudiens et des autres pays du Golfe. Les États-Unis ne fermèrent pas les yeux mais organisèrent cette guerre depuis le tout début.
Dans son article intitulé La magie des mots : Comment une simple phrase entraîna les États-Unis dans la crise syrienne, Hannah Allam laisse l’ancien ambassadeur en Syrie prétendre que l’administration n’a jamais vraiment voulu renverser Assad mais fut poussée à le faire :
Ford, l’ambassadeur en Syrie de l’époque, a dit qu’il s’était d’abord opposé à l’appel à renverser Assad, ceci pour deux raisons : il était évident pour lui que les sanctions étaient la seule punition que la Maison Blanche désirait utiliser et qu’un tel appel ruinerait ses efforts pour lancer un dialogue avec le régime.
Ford a dit qu’il était contre les pressions que d’autres fonctionnaires avaient aussi subi – de la part de républicains influents, quelques démocrates âgés, la bruyante communauté syrienne-américaine et des gouvernements étrangers – mais il y ajouta une force de pression souvent oubliée.
«Pour parler franchement, la presse, les médias, tiraient à boulet rouge sur nous. Les médias n’étaient par impartiaux dans cette affaire, a-t-il révélé. Comme les républicains prétendaient qu’Assad n’était plus légitime, cette question nous était posée à chaque conférence de presse, ‹Pensez vous qu’Assad est légitime?› Que pouvions-nous répondre? Qu’il l’était?»
Foutaise. Ford fut l’un des premiers à pousser à l’éviction d’Assad. Il a même participé à l’organisation des premières manifestations et au briefing des médias sur les manifestants pacifiques qui furent si rapides à tuer policiers et soldats. Voici quelques réactions sur twitter d’un révolutionnaire face aux déclarations de Ford :
Robert Ford dit que les Syriens ont été trompés par la «magie des mots»? Ford nous a promis, à nous les syriens, son total soutien en 2011.
Au cours de réunions privées à Damas, Robert Ford a promis à ses amis de l’opposition syrienne le soutien total des États-Unis et a encouragé les Syriens à continuer.
Il a même participé à la manifestation d’Hama, la plus grande manifestation dans l’histoire de la Syrie moderne. youtu.be/AP1vGBJM4NU
Je ne pense pas qu’il y ait eu mauvaise interprétation des déclarations publiques des États-Unis, vous étiez notre ambassadeur auprès de l’administration US. Allez, dites la vérité : vous avez promis la lune aux Syriens, vous leur avez donné la merde.
Tous ces articles dans les médias, celui du Washington Post d’hier, les fausses assertions du New York Timesd’aujourd’hui, les articles de McClatchy, font partie de la stratégie d’Obama pour jouer à celui qui ne faisait/ne faitrien ou de son mieux tout en menant une intense guerre par procuration contre le gouvernement syrien.
Joel Veldkamp étale au grand jour cette stratégie en l’analysant ainsi :
Pourquoi les États-Unis n’auraient-ils que soixante combattants au bout d’un programme d’entraînement d’une année ayant coûté 500 millions de dollars? Parce que cela renforce le narratif – alimenté par une série de programmes de soutien à l’opposition inadéquats, mais annoncés et débattus publiquement – des États-Unis comme spectateurs sans moyens face aux tueries se déroulant en Syrie et d’un président Obama comme homme d’État prudent et hésitant à s’impliquer. Pendant que le Sénat audite le chef du Pentagone sur les maigres résultats du programme, les États-Unis sous traitent les combats à des alliés n’ayant aucun scrupules à soutenir al–Qaida contre leurs opposants politiques. Mais il est même possible que les États-Unis coopèrent encore, directement ou indirectement, à ce soutien à al-Qaida.
Maintenant que cette histoire de spectateur sans moyens est démasquée, c’est-à-dire que les États-Unis sont directement impliqués, depuis le début, dans ce conflit armé, il devient à la fois possible et nécessaire de remettre en question cette implication.
Ce que je trouve particulièrement étonnant, c’est que les médias occidentaux soient tout à fait capables de parler des deux stratégies à la fois. On peut y lire des articles relatant le narratif selon lequel les États-Unis ne sont pas impliqués en Syrie et, dans les mêmes médias, on voit publier des articles sur l’intense effort militaire secret avec les tonnes d’armes expédiées et les milliards de dollars investis par l’administration Obama pour faire la guerre contre le peuple syrien.
Les médias savent donc que l’histoire du spectateur sans moyens est fausse. Hélas, l’espoir de Joel Veldkamp qu’il soit possible et nécessaire de remettre en question cette implication ne se réalise pas. En dehors de quelques blogs marginaux comme celui-ci il n’existe aucune discussion publique sur le sujet.
Le 14 août 2015 – Moon of Alabama.
Traduit par Wayan, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone.