Je crois que la reproduction intégrale de ce message s'impose.
Ça chauffe dans les Armées
Texte d'un officier supérieur qui a choisi de quitter l'Armée, et qui s'est épanché sur le blog du
Chef d'Etat-Major de l'Armée de Terre (CEMAT) le 27 février 2015.
Mon général,
Officier supérieur sur le point de quitter l’institution, n’ayant jamais été un lecteur assidu de
votre blog, j’ai un peu l’impression de faire preuve du même courage que certains de nos
généraux montant au créneau du politique au moment de leur départ à la retraite mais
qu’importe, ces mêmes généraux se seront, à un moment donné, fait entendre… de ce fait, je
souhaite vous apporter mon point de vue sur la situation actuelle qu’engendre l’opération
SENTINELLE, point de vue qui semble être partagé par certains qui, comme moi, sont tout en
bas de la chaîne et arment ces missions avec une vision réaliste de l’effort consenti. En effet, à
l’instar de gros EM lillois ou parisiens, nous avons dans nos petits EM, que j’aime appeler de
terrain, l’impression que nos chefs, le nez dans guidon se refusent à voir les conséquences
immédiates et à venir que nos armées subissent et se préparent à subir.
Mais surtout, ont
perdu toute vision objective de l’état de nos armées ou plus simplement ont renoncé.
Concernant l’aspect humain, nos hommes ainsi que les cadres engagés sur cette mission
comme sur tant d’autres, ont des familles. Les priver de remises en conditions auprès de leurs
proches a des conséquences que la plupart, par fierté, préfèrent taire. Ces hommes ont des
droits à permissions et nous savons d’ores et déjà qu’ils ne pourront, encore une fois, prétendre
à prendre la totalité de ces droits en raison du rythme de leurs activités. Mais il s’agit là d’une
constance bien ancrée en termes de gestion administrative et sur laquelle nous jetons depuis
longtemps un voile pudique.
Dans le même ordre d’idée et pour armer SENTINELLE, suite aux
annulations de permissions hors métropole imposées à nos légionnaires, nous commençons à
observer les premières désertions. De plus et en termes de fidélisation, j’ai de gros doutes sur
l’effet qu’auront toutes ces contraintes cumulées sur les renouvellements de contrats et ce pour
l’ensemble des engagés de l’Armée de Terre. Pour conclure sur cet aspect, ce qu’oublient
certains, c’est que nos hommes et la plupart de leurs cadres n’ont pas cette ambition dévorante
et cet égo surdimensionné qui les pousse à sacrifier toute considération des besoins de leur
entourage tant professionnel que familial.
Sur ce point certains tomberont de haut car tous n’obtiendront par cinq étoiles en fin de carrière…
Concernant l’aspect professionnel ou plutôt opérationnel, car je considère que le métier des
armes doit être intimement lié au précepte essentiel de servir ces armes au combat. Oui Mon
général je suis convaincu que la protection des Français et du territoire demeure la mission
première de nos armées mais j’ai des doutes sur la réalité des menaces car il ne me semble
pas que cette menace terroriste cible la population française dans sa globalité. Au contraire, en
augmentant le nombre de militaires sur le terrain nous multiplions les cibles potentielles offertes
à notre adversaire qui a clairement indiqué la nature de son ennemi. Nous sommes donc bien
dans l’affichage politique mais il ne s’agit là que de mon point de vue. Aujourd’hui, il apparaît
donc que la préparation opérationnelle de nos hommes n’est plus la priorité, l’affichage politique
ayant pris le dessus. Je veux parler des annulations de créneaux en centre d’entraînement, de
la préparation opérationnelle décentralisée également amputée pour pouvoir armer les 10 000
hommes de SENTINELLE et contenter le politique. Nous sommes à présent pré-alertés sur le
fait que certaines Mises en Condition avant Projection seront tout simplement annulées. Ce
choix que j’estime criminel n’a pas l’air d’interpeller qui que ce soit outre ceux qui
prochainement iront patrouiller dans la bande sahélo-saharienne ou dans des zones où leur vie
sera engagée.
Ces deux aspects, humain et professionnel, qui ne sont pas les seuls impactés, ne semblent
avoir aucune incidence sur les choix stratégiques qui sont actuellement faits. La Grande Muette
et en particulier l’armée de terre, le petit doigt sur la couture du pantalon, face au politique,
réalisera de toute façon ces efforts que le reste de la nation ne semble pas prêt à consentir. Je
serais curieux de savoir, quel déploiement effectif a été réalisé sur le terrain par les 240 000
hommes cumulés de la Police et de la Gendarmerie en comparaison de l’effort consenti par les
90 000 hommes de l’Armée de Terre. Il est vrai que les coûts d’engagement humain et financier
ne sont pas comparables, car la notion de récupération n’existe pas dans l’Armée de Terre. De
plus, je découvre avec effarement que certaines autorités militaires nous demandent
aujourd’hui, par écrit, de mentir si nécessaire en affirmant que les effectifs déployés
représentent bien les 10 000 hommes annoncés alors qu’en réalité il ne s’agit plus que de
7000, c’est pitoyable.
Ainsi, Mon général, face à des décisions politiques démagogiques molles où la Défense est le
seul ministère à faire de véritables efforts en termes d’économie en moyens humains et
financiers au détriment de notre entraînement et de notre efficacité. Je crois savoir que la
défense, qui ne représente que 3% de la masse salariale globale de l’administration, réalise
66% des efforts en matière de réduction d’effectifs…
Face à une perte de pouvoir d'achat liée à une augmentation des taxes, charges et impôts avec
en parallèle une stagnation des soldes, une baisse des indemnités et primes notamment OPEX,
là-bas même où nos hommes meurent. Sur ce point particulier, quelle administration
accepterait sans grogner de voir ses primes baisser à deux reprises en l'espace de 20 ans ?
Face à des services financiers de la défense qui cherchent plus à faire des économies sur le
dos de leurs administrés plutôt que de les aider dans les démarches administratives qui leurs
sont imposées par les missions, les mutations et les déménagements, avec pour conséquence
que l'administré en soit de plus en plus souvent de sa poche.
Face à des chefs militaires où l'égo et le carriérisme dirigent leur action au détriment de choix
courageux et efficaces ; asservis aux politiques par leur ambition où la renonciation paraît plus
confortable et plus sûre pour servir une carrière où l'espoir de monter semble être le fil rouge de
toute décision.
Face à des réductions d'effectifs, de moyens de combat et de commandement aux plus bas
échelons avec un volume identique de missions et des efforts toujours plus importants
provoquant une surchauffe opérationnelle liée à une perte de capacité d'entraînement.
Face à toutes ces désillusions et ces renoncements il est très difficile de conserver un haut
niveau de satisfaction de notre condition de militaire mais on pourra toujours me retourner la
formule consacrée : « vous ne pouvez pas comprendre car vous n’avez pas tous les éléments !
»…
Face à la déliquescence chaque année encore un peu plus prononcée de nos armées la seule
chose qui me réconforte est que les jeunes générations de cadres et de soldats à venir n’auront
pas connu avant. J’en viendrais presque à considérer l’idée, qui jusqu’alors me révulsait, que la
syndicalisation dans nos armées pourrait finalement être un bien. Quant à moi, vous en
conviendrez, il est temps que je parte.
Je prie les lecteurs de votre blog de bien vouloir excuser la longueur excessive de ce
commentaire, surtout si celui-ci est reproduit in-extenso sans subir les coupes de censure
auxquelles je m’attends.
Très respectueusement.
Lieutenant-Colonel BRET