Damas passe en mode défensif
Lorsque l’ennemi attaque en nombre écrasant, il est logique de se replier sur ses meilleures lignes de défense et de protéger uniquement le cœur du pays.
L’assaut simultané des «rebelles modérés» d’Al-Qaïda et des djihadistes de l’État islamique, soutenus par les États-Unis, la Turquie et le conseil de coopération du Golfe, exige que le gouvernement syrien centralise ses capacités et son matériel et se place en position défensive.
Ce n’est bien sûr pas un changement stratégique ni un signe de faiblesse, mais un mouvement tactique. Sacrifier des unités épuisées pour défendre des parties accessoires et excentrées du territoire – de ce fait indéfendables – du pays serait tout simplement inepte.
Le gouvernement syrien est encore fort et au moins 75% du peuple syrien qui se trouve à l’intérieur de la Syrie est sous son contrôle. La guerre contre la Syrie va durer des années et il y aura d’autres phases où l’armée syrienne ira de nouveau à l’attaque.
Quelque 10 000 combattants d’al-Qaïda, dont un tiers d’étrangers, ont traversé la frontière Turco-syrienne équipés de nouvelles armes anti-chars TOW étasuniennes et ont submergé les défenses syriennes dans le gouvernorat et la ville d’Idleb. Le gouvernement syrien ne s’attendait pas à une attaque d’une telle ampleur et d’une telle force.
Comprenant que davantage de ressources seraient nécessaires pour contrer cette attaque, il a envoyé des officiels en Iran et en Russie pour demander davantage d’aide.
L’Iran a offert un nouveau prêt de 1 milliard de dollars et a également envoyé quelque 15 000 paramilitaires supplémentaires en provenance d’Irak et d’Iran pour soutenir la défense de Damas, de Homs et de la zone côtière de Lattaquié. Le Hezbollah nettoie le secteur des montagnes Qalamon, proches du Liban, de al-Nusra et d’autres groupes djihadistes.
La Russie a annoncé publiquement qu’elle allait apporter davantage de soutien au gouvernement syrien. On ne sait pas encore en quoi il consistera exactement, mais on peut s’attendre à la livraison d’une quantité croissante de nouvelles armes à l’armée syrienne et aux forces aériennes.
Pendant ce temps la machine de propagande américaine alimente de son mieux trois lignes de propagande.
La première consiste à faire croire que le gouvernement syrien n’est plus soutenu par son peuple et à semer le doute sur son alliance avec l’Iran et la Russie.
Avec le nouveau soutien attendu, cette ligne de propagande tombe temporairement à l’eau, mais elle sera relancée au moment opportun.
La deuxième ligne de propagande consiste à nier que Jabhat al-Nusra est une véritable composante opérationnelle de Al-Qeada qui a comme objectif à long terme d’attaquer «l’ouest». Il est indispensable de le nier pour justifier le soutien étasunien supplémentaire aux campagnes menées par Nusra à Idleb et ailleurs. Il y a eu des rumeurs sur le fait que al-Nusra aurait rejeté al-Qaïda, et des tentatives pour inventer une sorte de conflit interne sur la question.
Une interview complaisante par AlJazeerah du chef Nusra Jolani a été organisée pour adoucir son image. Mais Jolani ne s’est pas comporté comme le sponsor qatari d’AlJazeerah le souhaitait. Il a de nouveau déclaré son allégeance absolue à Al-Qaïda et sa subordination au chef d’Al-Qeada, Ayman al-Zawahiri. Nusra n’est donc pas «aligné sur al-Qaïda» ni «lié à al-Qaïda» ni «une franchise d’Al-Qaïda». Jabhat al-Nusra est al-Qaïda. Jolani ne laisse aucun doute à ce sujet.
La troisième ligne de propagande, et la plus stupide, porte sur la prétendue coopération du gouvernement syrien avec l’État islamique. «Regardez, nous avons planifié cette grande opération contre Assad à Alep et Assad nous a bombardés. Le lendemain, l’État islamique nous a attaqués et Assad ne les a pas bombardés. Voyez, il ne nous a pas aidés. Il doit être avec l’État islamique. » La sottise n’a pas de limites. Voici comment l’armée syrienne et l’État islamique «coopèrent» en réalité:
Les bombardiers de l’Etat islamique ont fait sauter une douzaine de camions bourrés d’explosifs aux points de contrôle de l’armée syrienne près de la ville de Hasaka tenue par le gouvernement, au nord-est du pays, au cours des cinq derniers jours, a annoncé jeudi le gouverneur de la ville.
…
«Plus de treize véhicules bourrés d’explosifs ont attaqué des postes de contrôle de l’armée et semé la terreur et la peur parmi les citoyens», a déclaré le gouverneur de la ville, Mohammad Ali al Zaal, à la télévision d’Etat au téléphone, depuis l’intérieur de la ville.
Il y a maintenant trois camps dans la guerre en Syrie. Les terroristes d’Al-Qaïda soutenus par des états extérieurs alignés sur les Etats-Unis, le gouvernement syrien et de ses alliés et l’Etat islamique en Irak et en Syrie.
Tous les trois se battent les uns contre les autres, mais le gouvernement syrien espère que les combats entre Nusra et l’État islamique vont s’intensifier et affaiblir ses deux ennemis. Pour lui, l’État islamique n’est pas seulement son problème, mais celui du monde entier. Il va maintenant passer au mode défensif et protéger le cœur du pays. D’autres entités devront attaquer l’État islamique.
Le pari, c’est que l’Etat islamique attaquera sûrement bientôt directement «l’occident» et/ou des pays du Golfe, et que ces attaques obligeront d’autres acteurs à prendre en charge le problème de l’Etat islamique.
Moon of Alabama | 4 juin 2015
Traduction : Dominique Muselet
Article original: http://www.moonofalabama.org/2015/06/damascus-goes-defensive.html
Source: http://arretsurinfo.ch/damas-passe-en-mode-defensif/
Syrie: L’armée gouvernementale en première ligne face à Daech
A la sortie de Damas, le minibus n’a pas pris le chemin le plus court. La zone de Douma, à l’est de la capitale, regorge de snipers rebelles qui cernent l’autoroute Damas-Homs. Notre chauffeur préfère ne pas s’y risquer et contourner le mont Qassioun par le nord. Le bord de la route est jalonné de constructions neuves inachevées. L’économie, en berne après quatre ans de guerre, n’a pas arrêté le bâtiment, au contraire. Il faut bien trouver des logements pour les réfugiés chassés des zones conquises par Daech. Soudain, un panneau indique Palmyre, Deir Ezzor, Irak, trois destinations qui échappent pratiquement toutes au régime. Bachar El-Assad ne contrôle plus en effet que 35 % du territoire syrien, mais ces 35 % abritent plus de 60 % de la population. Au loin, on aperçoit la cimenterie d’Adra où, en 2013, les djihadistes d’Al-Nosra avaient perpétré un massacre.
LE RÉGIME DE BACHAR EL-ASSAD SEMBLE FRAGILISÉ DANS LE NORD, MAIS IL CONTRÔLE MIEUX SON TERRITOIRE
Paradoxalement, à l’endroit où nous sommes, la situation était bien pire il y a un an. La route que nous empruntons a longtemps été le seul secteur contrôlé par l’armée. Les bas-côtés étaient presque tous en zone rebelle. Les islamistes avaient alors porté le combat jusqu’au cœur de Damas. Leur présence était sensible jusqu’à la place des Abbassides, dans le centre de la ville. Au printemps 2014, l’armée a procédé au nettoyage autour de la capitale. La Ghouta orientale a été sécurisée. Il reste encore des poches rebelles mais, devant l’avancée de Daech, certaines, comme dans la ville de Qutafeh que nous laissons à notre droite, ont scellé un pacte de non-agression avec l’armée, qui les laisse gérer leur territoire. Le régime semble fragilisé par ses défaites à Palmyre, Ibled ou Jisr al-Choughour, dans le Nord, mais il contrôle mieux son territoire. Sur notre gauche défilent les plateaux du Qalamoun et, plus loin encore, les sommets de l’Anti-Liban. Là-bas, c’est le Hezbollah libanais, fidèle allié de l’armée syrienne, qui combat les insurgés pour le contrôle de la région. Tout le long de l’autoroute, on croise de nombreux camps militaires. Hafez El-Assad, le père de Bachar, avait compris que cette voie était l’axe névralgique de la Syrie. Bien avant lui, les Romains y avait tracé leur « limes ». C’est donc une excellente ligne de défense. Car, plus loin, vers l’est, c’est la plaine et le désert, le territoire où Daech a pu prospérer et où il contrôle tout désormais, depuis Palmyre jusqu’à Ramadi, en Irak.
Une pancarte indique l’entrée sud de Homs. Pour nous rendre dans le centre-ville, nous traversons des quartiers alaouites. A chacun des nombreux check points de l’armée, un de nos guides nous rappelle qu’il ne faut pas photographier. « Homs, aujourd’hui, est stable. Cela veut dire qu’elle est contrôlée par l’Etat », nous garantit Talal Al-Barazi, le gouverneur de la province. Jusqu’à la semaine dernière, la juridiction de cet homme s’exerçait aussi sur la ville de Palmyre. A Homs, un seul quartier, celui d’Al-Waar, est encore aux mains des rebelles d’Al-Nosra. Le gouverneur est formel : « On essaie de trouver des solutions pour la réconciliation. Les terroristes d’Al-Nosra pourront quitter la ville avec leurs armes pour partir au nord, comme ils l’ont fait dans la vieille ville en 2014. Et si un terroriste abandonne les armes et veut rester, nous le réintégrerons. » Je l’interroge : « Sans qu’il soit arrêté ? – Il ne sera pas arrêté ! » Nous ne pourrons, hélas, pas nous rendre compte de sa bonne foi. Les discussions entre les deux camps ne sont pas ouvertes aux journalistes. Dommage.
On reprend la route, vers l’est cette fois, en direction de Palmyre. Les rues détruites de la vieille ville de Homs, qui commence juste après le palais du gouverneur, ont toutes gardé les stigmates des combats. Les meurtrières percées par les snipers, les murs découpés pour permettre aux combattants de passer d’une maison à l’autre sans se faire voir, même les miroirs qui servaient à repérer l’adversaire dans le dédale des ruelles, tout est encore en place, prêt à resservir. Cependant, lorsqu’on marche dans ces rues, on dirait que la guerre est finie. Les pierres nous chuchotent qu’elles en ont trop vu. Les rares habitants qui y sont retournés font preuve d’un optimisme rageur dont seuls peuvent se prévaloir ceux qui ont touché la limite extrême de leur existence. « On n’a pas peur de Daech, assurent-ils. Ils ne viendront pas. Ici, la guerre est terminée. » « Si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi », disait Nietzsche.
LA ROUTE DE PALMYRE S’OUVRE DEVANT NOUS. LES DJIHADISTES SONT À MOINS DE 100 KM
Au bout d’une avenue, ce ne sont plus les gravats d’immeubles frappés par les missiles qui dominent l’horizon mais une forêt de sépultures. Ce cimetière semble plus accueillant que tout ce qui se situe à sa périphérie, comme si, dans ce coin de l’enfer, les morts étaient les seuls à continuer à vivre en paix. A peine un cinquième de ceux qui habitaient ces quartiers sont rentrés chez eux. Les autres sont venus gonfler le flot des réfugiés qui s’agglutinent chaque jour plus près de Damas. Les zones qui bordent la vieille ville de Homs ont moins souffert. Bientôt, la pierre cède la place à l’olivier, à perte de vue. La route de Palmyre s’ouvre devant nous. On se croirait dans une paisible campagne provençale. Pourtant, les djihadistes sont à moins de 100 kilomètres. Dans les conversations de nos guides, le nom de Daech revient de plus en plus souvent. Ce mot semble posséder un véritable pouvoir maléfique. Les djihadistes ont bien fait leur travail. Ils n’ont plus besoin d’images pour que l’effroi, comme à l’époque d’Attila ou à celle de Nabuchodonosor, travaille les consciences à mesure que l’on va vers eux.
Soudain, le minibus bifurque à droite pour prendre le chemin d’une caserne de l’armée. Il nous faut négocier l’autorisation d’aller jusqu’au front. Tous les villages, aux alentours, sont alaouites. Il y a moins de prise pour Daech, qui s’appuie sur les communautés sunnites pour progresser et s’infiltrer. Daech n’est d’ailleurs pas le seul ennemi de l’armée syrienne dans le secteur. Au nord, la ville d’Al-Rastan et ses campagnes sont contrôlées par le front Al-Nosra. Dans une Syrie tellement morcelée, cela peut paraître un détail, mais ce détail nous oblige à faire un large détour pour rejoindre les positions de l’armée syrienne en contact direct avec le front de Daech. Après avoir traversé plusieurs villages, pour la plupart occupés par des militaires, nous apercevons trois chars T-72 accrochés au sommet d’une colline. C’est la ligne de front. Elle est balisée, tous les 500 mètres, par des sacs de sable et des postes de combat. Entre eux, une tranchée a été creusée. Personne ne doit la franchir. Les tirs sont sans sommation. Et c’est valable aussi pour les paysans loyalistes.
DAECH SORT À LA FAVEUR DE LA NUIT. LES HABITANTS DE SABOURA EN ONT FAIT L’HORRIBLE EXPÉRIENCE, TOUS MASSACRÉS DANS LEUR SOMMEIL
Devant nous se dresse le djebel Al-Shomaria. « C’est ici que commence le territoire de Daech », nous explique le lieutenant Ahmad Eissa, qui commande cet avant-poste. Cela fait un an et demi qu’il combat dans la région sans rentrer chez lui, et cette montagne qui le contemple lui a donné beaucoup de fil à retordre. Daech a, en effet, commencé par s’intéresser aux zones désertiques, comme ce djebel aride, en faisant des razzias dans les villages et, peu à peu, telle une pieuvre, en encerclant Palmyre. La fatigue se lit sur le visage du lieutenant comme sur celui de ses hommes, mais le moral reste au beau fixe. Pour nous le prouver, ils se mettent tous en chœur à tirer sur l’ennemi invisible qui leur fait face. Tous les calibres à disposition y passent. Aucun risque qu’ils tuent autre chose que des rongeurs ou des sangliers. Le danger surgit lorsque le jour tombe. Daech sort à la faveur de la nuit. Une semaine plus tôt, les habitants du village de Saboura, tout proche, en ont fait l’horrible expérience. Ils ont presque tous été massacrés dans leur sommeil.
Quelques-uns des soldats qui occupent cette colline ont connu la retraite de Palmyre. Tel ce tankiste qui m’invite à monter à bord de son blindé. Une épaisse fumée noire s’en dégage quand il enclenche la première et accélère, en raclant rageusement la terre de ses chenilles. A l’intérieur, le sol est maculé d’une couche de gas-oil ; la rouille a envahi l’habitacle. Cela reste un solide blindé soviétique, très polluant mais très maniable. On en sort sans regret pour aller à la rencontre du capitaine Ziad. Cet officier de 32 ans parle l’arabe avec l’accent de la montagne alaouite. Il n’avait pas 16 ans quand il a rejoint l’armée. Pour lui, ce qu’il s’est passé à Palmyre n’est qu’un repli temporaire. Il raconte : « Daech avait infiltré la ville maison par maison, en s’installant dans les habitations dont les occupants étaient déjà partis. Ils n’ont pas pénétré dans la ville, ils étaient déjà là. Pour la défendre, il aurait fallu la raser. Nous avons choisi de nous retirer. » Au même moment, une formation de Sukhoï survole la campagne.
Ces jours derniers, l’armée de l’air syrienne s’est déchaînée contre les nouveaux maîtres de Palmyre. Celle dont la reine Zénobie fit chanter des générations de poètes n’a pas encore été dégradée par les djihadistes, qui ont fait de ses ruines majestueuses leur otage. Ils se sont contentés, la veille, de faire exploser la prison, considérée comme une des pires du régime, comme si, aux yeux du monde, ils voulaient apparaître en libérateurs. Ceux qui défendent Homs, en tout cas, savent quel sort les attend si Daech remet le feu à la ville dont le soulèvement, il y a quatre ans, avait donné tant d’espoirs aux rebelles. Elle fait aujourd’hui figure de dernier rempart pour Damas. « La victoire ou mourir en martyrs, nous n’avons pas le choix », me confie le jeune lieutenant avant de retourner surveiller la campagne. Et d’ajouter, en me serrant la main : « La prochaine fois, on se verra à Palmyre, Inch’ Allah ! »
Par Régis Le Sommier | 4 juin 2015
Titre original: SYRIE EN PREMIÈRE LIGNE FACE À DAECH