Avec tous les yeux sur les massacres en Irak et en Syrie du groupe État Islamique d’Irak et de Syrie, une ligne de front moins visible, mais, potentiellement tout aussi explosive avec les extrémistes est en train d’émerger au Liban, où les soldats libanais et la guérilla Chiite du Hezbollah sont de plus en plus entraînés dans des combats meurtriers avec les militants Sunnites le long de la frontière du pays avec la Syrie.
Les États-Unis ont accéléré la fréquence des livraisons de petites munitions pour consolider l’armée du Liban, mais, les récentes attaques transfrontalières et les décapitations de soldats libanais par des combattants de l’État Islamique (ISIS), et la défection de quatre autres en faveur des extrémistes, ont envoyé des ondes de choc à travers ce pays de la Méditerranée, en provoquant la peur d’une glissade potentielle dans une sorte de violence sectaire militante frappant la Syrie et l’Irak, et incitant de plus en plus les minorités à prendre les armes.
La crise a été lente à venir.
Pendant longtemps, le Liban a réussi à éviter miraculeusement le chaos total qui s’est emparé de ses pays voisins, en dépit d’affrontements sporadiques dans les rues et d’attentats à la voiture piégée, et en dépit d’être inondé d’armes et de l’arrivée d’un flot ininterrompu de réfugiés en provenance de la Syrie, qui constituent désormais un tiers de toute sa population estimée à 4,5 millions de personnes.
Contrairement à la Syrie ou à l’Irak, le groupe État Islamique (ISIS), qui s’est séparé d’al-Qaïda, ne détient pas de territoire au Liban. Mais, avec son affilié à al-Qaïda de la Syrie, le Front Nusra, il s’est implanté dans les montagnes reculées le long de la frontière orientale éloignée du Liban, d’où ils lancent des incursions quasi quotidiennes plus loin.
Le recrutement djihadiste dans les zones sunnites pauvres du nord du Liban est à la hausse, et les drapeaux noirs de l’État Islamique flottent librement dans certaines régions, en raison des poches de soutien croissant pour le groupe radical.
« Le Liban est dans l’œil de la tempête, » a déclaré Fadia Kiwan, professeur en sciences politiques à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
Les Libanais sont profondément divisés sur la guerre civile en Syrie. Les combattants du Hezbollah sont partis rejoindre les forces du président syrien, Bachar Al-Assad, dans leur lutte contre les rebelles Sunnites, entraînant la colère des Sunnites du Liban et attisant les tensions entre les Sunnites et les Chiites. Cela a conduit à des attentats-suicides et plusieurs séries de combats dans les rue du Liban, l’année dernière.
La menace de l’État Islamique est arrivé au Liban en août, deux mois après la campagne éclair de l’été du groupe dans laquelle l’État Islamique s’est emparé de grandes étendues de territoire en Irak et en Syrie. Dans une attaque surprise, le groupe de l’État Islamique et les militants du Front Nusra ont traversé à partir de la Syrie et ont envahi la ville frontalière libanaise à majorité Sunnite d’Arsal, en frappant les positions de l’armée libanaise et en tuant près de 20 soldats.
Après une semaine d’affrontements, les militants ont reculé dans des grottes de montagnes près de la frontière de la Syrie, en prenant plus de 20 soldats et policiers libanais avec eux.
Les combattants de l’État Islamique ont depuis décapité deux soldats libanais. Les militants du Front Nusra en ont abattu un troisième. En retour pour les otages restants, ils ont émis diverses demandes, y compris le retrait des troupes du Hezbollah de la Syrie et la libération des islamistes dans les prisons libanaises.
Le commandant de l’armée libanais, Jean Kahwaji, a dit dans des commentaires publiés cette semaine que les militants de la Syrie voulaient déclencher une guerre civile et créer un passage vers la ligne côtière du Liban en reliant les montagnes Qalamoun de la Syrie avec Arsal sur la frontière et la ville d’Akkar, dans le nord du Liban, une zone Sunnite pauvre.
Les analystes s’accordent à dire qu’au Liban, les combattants de groupes État Islamique voient également une occasion de frapper le grand patron du Hezbollah, la puissance Chiite, l’Iran, mais ne sont pas trop pressés de lancer une nouvelle guerre immédiatement.
« Le territoire du Liban est un objectif à long terme, » a déclaré David Schenker, directeur du programme sur les politiques arabes à l’Institut de Washington pour les Politiques du Proche-Orient.
Mais, il est à craindre que finalement, a dit David Schenker, que le groupe État Islamique pourrait mettre en scène un attentat spectaculaire, par exemple, le bastion du Hezbollah de Dahyeh, au sud de Beyrouth, recréant ainsi un incident similaire à une attaque de 2006 dans la ville de Samarra, en Irak, et « libérer cette incroyable tension sectaire qui se traduirait par la reprise de la guerre civile ».
À Samarra, les extrémistes Sunnites ont bombardé un sanctuaire Chiite majeur, amorçant ainsi deux années d’attaques sectaires sanglantes qui ont poussé l’Irak au bord de la guerre civile. Le Liban se remet à peine de la guerre civile de 15 ans qui a pris fin en 1990.
La guerre mondiale contre l’État Islamique (ISIS) et ses attaques au Liban ont quelque peu renforcé le récit du Hezbollah que son intervention en Syrie était nécessaire pour parer à la menace des Sunnites extrémistes au Liban.
Paradoxalement, ceci a amené le Hezbollah plus près des Chrétiens et d’autres minorités libanaises à cause de leurs craintes partagées des militants Sunnites. Mais, le groupe Chiite libanais est détesté par la plupart des Sunnites libanais, dont beaucoup se réfèrent au Hezbollah comme le « Parti de Satan », un jeu obscur sur le nom du Hezbollah, qui signifie le « Parti de Dieu ».
En plus d’être enlisé dans les combats en Syrie, le Hezbollah est de plus en plus impliqué dans des affrontements à l’intérieur du Liban. Dans une attaque sans précédent, les combattants du Front Nusra ont envahi les positions tenues par le Hezbollah le long de la frontière syrienne, la semaine dernière, en tuant huit de ses combattants dans des combats qui ont duré plusieurs heures.
« De telles attaques érodent non seulement la stature du Hezbollah mais elles démontrent sa vulnérabilité. Je pense que, sur le long terme ou alors que les mois passent, nous allons voir de plus en plus de ces attaques, » a dit David Schenker.
Dans une rare sortie à l’extérieur de ses bunkers souterrains, le chef du Hezbollah, Cheikh Hassan Nasrallah, s’est rendu à la vallée de la Bekaa, dans l’est du Liban, la semaine dernière, pour rencontrer ses combattants, a dit l’officiel du Hezbollah, Mohammad Afif, un geste apparemment pour remonter leur moral.
« Le Hezbollah est entré dans un combat qui est plus grand que le Liban », a déclaré Kiwan, professeur en sciences politiques. « Aujourd’hui, le Hezbollah est obligé de continuer la bataille qu’il a commencé. »
Avec l’armée libanaise, le Hezbollah se bat presque quotidiennement contre les incursions des militants de l’État Islamique dans la Vallée de la Bekaa, provoquant des accusations que l’armée collabore avec la guérilla Chiite contre les Sunnites libanais, en plaçant ainsi l’armée dans le cœur d’une possible confrontation entre les Sunnites et les Chiites.
Ce qui ajoute au mélange mortel, c’est que quatre soldats libanais, tous des Sunnites du nord du Liban, ont déserté l’armée et ont rejoint soit l’État Islamique (ISIS) ou le Front Nusra, depuis juillet.
Un des déserteurs, Abdallah Shehadeh, a déclaré dans une vidéo mise en ligne par le Front Nusra, cette semaine, qu’il s’était d’abord « engagé dans l’armée pour défendre le peuple libanais, mais, avait constaté que l’armée n’était qu’un outil du Hezbollah ».
Bien qu’une poignée de désertions ne pose pas un risque imminent pour la taille de l’armée du Liban, de telles déclarations médiatisées peuvent éventuellement blesser et rendre le recrutement des conscrits Sunnites plus difficile, disent les analystes.
En raison des divisions entre les Sunnites et les Chiites du Liban et la scission entre ceux en faveur et ceux contre Bashar al-Assad, la guerre civile en Syrie a complètement paralysé le gouvernement de Beyrouth.
Le Liban est sans président depuis mai et le parlement envisage de reporter les élections pour la deuxième fois, apparemment parce que la situation de la sécurité rend impossible la tenue d’élections.
En outre, le gouvernement est confronté à une escalade des protestations des familles des soldats et des policiers en captivité qui ont bloqué les routes et ont mis en place des tentes de protestation, dont plusieurs tentes, la semaine dernière, près des immeubles gouvernementaux qui a bloqué la circulation dans le centre commercial de Beyrouth.
Ces familles accusent le gouvernement de ne pas en faire assez pour assurer la liberté de leurs proches.
« Nous espérons que l’état du Liban va faire quelque chose pour restaurer sa dignité, » a déclaré Layal Dirani, la sœur du policier Suleiman Dirani, qui a été pris en otage par le Front Nusra, le 2 août.
Traduit par PLEINSFEUX.ORG
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