La grande muette souffre en silence. Jusqu’à quand ?
« Il n’y a plus de gras dans nos armées, on attaque le muscle. C’est mon devoir de vous le dire. » C’est un véritable cri d’alarme que le chef d’état-major des armées (CEMA), Pierre de Villiers, vient de lancer devant les députés lors de son audition pour le projet de loi de finances 2015.
Responsable avec le président de la République, chef des armées, et avec le ministre de la Défense du bien-être de nos soldats et de leur capacité opérationnelle, le CEMA pilote au quotidien la politique de défense de notre pays. Il sait, mieux que d’autres, ce que nos armées valent au regard des autres.
Sa parole est rare et donc très chère. Qu’il s’exprime ainsi de manière aussi crue et explicite devant les représentants de la nation dénote un réel malaise.
Aujourd’hui, Pierre de Villiers dit clairement que les politiques conduites depuis une décennie par les gouvernements successifs arrivent au bout du bout.
En 10 ans, de 2009 à 2019, les effectifs de l’armée auront diminué d’un quart, soit plus de 60.000 postes sur un effectif total d’environ 250.000 personnes. « Pour la seule année 2014, le ministère de la Défense absorbe à lui seul 60 % des suppressions d’emplois publics. En 2015, ce ratio augmentera encore jusqu’à 66 % », a-t-il déclaré aux députés peu dépités.
Quel autre ministère aurait pu subir de si violentes transformations en aussi peu de temps ? En silence, qui plus est ?
Car le plus compliqué dans l’affaire, c’est que les militaires n’en peuvent plus qu’on « charge la mule ». Moins de crédits, moins d’effectifs, moins de moyens et toujours plus d’opérations extérieures (OPEX : Mali, bande sahélo-saharienne, Centrafrique, Irak, Ukraine, Liban, etc.), toujours plus de missions intérieures : défense du territoire (notamment avec Vigipirate), dissuasion, etc. On voudrait encore tailler dans le budget et les effectifs ? Mais où, pour quoi faire ?
Le CEMA l’a dit lui-même devant les députés : « Plus on avance, plus il est difficile d’identifier des postes à supprimer. » Il n’est pas rare de voir des personnels effectuer deux OPEX la même année.
Une fois revenus d’un théâtre, à peine la REMEC (remise en condition) est-elle effectuée qu’ils repartent pour une nouvelle mission.
Le message envoyé par Pierre de Villiers est limpide : que le politique arrête de faire des armées une variable d’ajustement. Derrière les chiffres, il y a des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes qui risquent leur vie au nom de la France.
En retour, cette dernière a un contrat moral minimum avec elles : leur donner les moyens d’assurer les missions que les politiques leur imposent.
Ce qui n’est pas le cas ! Par exemple, comment peut-on se contenter de trois frappes en deux mois contre Daech ?
Aujourd’hui, les armées subissent les coups et tiennent le choc.
Les militaires, d’active et réservistes, souffrent en silence. Reste à savoir jusqu’à quand ?