Hélène, 17 ans, de la crise d'adolescence à l'islam intégriste
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Hélène, 17 ans
de la crise d'adolescence
à l'islam intégriste
Derrière le voile rose des rideaux de sa chambre, Hélène a vue sur les platanes de la cour de récréation de son ancienne école maternelle. Des enfants jouent à la marelle. Le toboggan n'a pas bougé. Hélène a 17 ans. Elle habite avec sa mère, enseignante près de Paris, dans un grand appartement de fonction au premier étage d'une école de briques rouges. Voilà des semaines qu'elle n'est pas sortie de chez elle.
Cinq fois par jour, à heure fixe, elle file dans la salle de bains, enfile une ample combinaison et se prosterne sur son tapis à poils roses pour la prière. Hélène n'a plus d'amis garçons. Elle n'écoute plus de musique. La trousse de maquillage dont elle abusait tant il y a encore quelques mois a fini à la poubelle. Elle a décroché les photos d'elle et de ses amis qui formaient un grand cœur au-dessus de son lit. Elle s'est acheté deux jilbeb, de longues robes amples couvrant les cheveux et les formes du corps : un noir et un de couleur aubergine.
Cloîtrée dans sa chambre d'enfant, Hélène attend sa majorité : à 18 ans, elle ira au Caire épouser son petit ami égyptien. Elle l'a écrit en lettres capitales en tête de ses vingt-six « grands objectifs » il y a un mois : « A mes 18 ans, mettre de l'argent de côté pour partir vite et pratiquer ma religion. » Les deux amoureux comptent s'installer dans un pays qui respecte la charia pour réaliser son rêve : porter le niqab et être « soumise à son mari », comme elle l'a expliqué à Claire, sa mère.
La chambre d'Hélène a vue sur son ancienne école maternelle
Sur la table du salon, Claire étale énergiquement des dossiers, des albums photos, un téléphone portable et allume son ordinateur. Echanges de SMS, courriers administratifs, profils Facebook… Toutes les étapes de la radicalisation de son enfant, les signes de son « lavage de cerveau », sont consignées. Hélène n'a jamais reçu d'éducation religieuse. Ses parents sont athées et elle a grandi dans les locaux d'une école publique.
C'est au printemps 2012, à l'âge de 15 ans, que la jeune fille s'est convertie à l'islam. Avec deux amies de collège, elle a prononcé cette phrase : « Il n'y a de dieu qu'Allah et Mohammed est son messager. » Elle a cessé de manger du porc et s'est mise à faire le ramadan, en cachette. Sa mère s'en est aperçue pendant les vacances d'été au Club Med de Djerba, en Tunisie. Elle ne s'en est pas émue outre mesure.
Sa fille lui annonce alors qu'elle a décidé d'arrêter de fumer, de ne jamais boire d'alcool, ni de sortir avec des garçons. « Elle semblait chercher un cadre, une rigueur que nous ne lui avions peut-être pas offerte. Nous avons toujours été un peu laxistes, surtout son père, dont je me suis séparée quand elle avait 6 ans, raconte Claire, en quête perpétuelle de réponses. J'ai accepté sa conversion car elle ne semblait pas porter à conséquence. »
Au début de cette année, la métamorphose de la jeune fille s'accélère. Hélène cesse de s'épiler les sourcils, troque ses jeans slim contre d'amples vêtements. Elle rompt avec ses copains – dont plusieurs musulmans – par refus de la mixité, abandonne le gospel. Un jour, devant sa mère stupéfaite, elle déchire une photo d'elle enfant. Dans un mail de plusieurs pages à sa famille, ponctué de sourates du Coran, elle annonce finalement sa volonté de porter le voile.
Claire a négocié avec sa fille un règlement intérieur en deux colonnes : "à la maison" et "dehors avec maman"
Claire commence à s'alarmer. Elle se renseigne sur l'islam, engage de longues discussions avec sa fille et lui montre des interviews d'Elisabeth Badinter, philosophe et féministe, ou de l'imam de Bordeaux sur le port du voile. Sa fille lui répond que ceux qui ne respectent pas à la lettre le Coran et la Sunna, l'ensemble des règlements divins, ne sont pas de vrais musulmans. « Je ne le savais pas encore, mais ma fille était en train de devenir salafiste », résume Claire.
Si les salafistes privilégient une lecture littérale des textes religieux, tous ne professent pas le djihad. Hélène n'a jamais manifesté le désir de partir en Syrie. Tout laisse à penser qu'elle s'identifie au mouvement quiétiste, axé sur la prédication. Mais cette petite fille qui n'a pas fini de grandir a intégré des notions mal apprises dans la plus grande confusion.
Hélène ne croit pas ce que disent les médias. Elle regarde des vidéos de Nabil Al-Awadi, un prédicateur koweïtien soupçonné d'être un des grands argentiers de l'« Etat islamique » (EI). « Des films qui démontent la théorie de Darwin, parlent de fin du monde, de l'enfer et du paradis… », soupire sa mère.
Terrorisée à l'idée que sa fille puisse partir en Syrie, Claire arrive parfois à la convaincre de regarder des reportages sur l'EI. Elle lui demande ce qu'elle pense des décapitations. Sa fille répond : « Je ne peux pas juger, je ne crois que ce que je vois. C'est peut-être un montage des Américains. – Et les prises d'otages ? – Ça dépend de la cause, ils sont parfois bien traités. »
Claire panique, emmène Hélène aux urgences psychiatriques. Elle est énervée, sa fille calme. Le médecin lui explique qu'elle est fatiguée, qu'elle doit respecter la foi de son enfant : « Ils ne comprenaient pas que je ne parlais pas de religion, mais de manipulation mentale ! »
Hélène s'est remise depuis peu à lire les livres qu'elle aimait enfant
Claire a récemment convaincu sa fille de troquer son vieux tapis de prière contre un tapis rose
C'est le 20 mai que Claire a réalisé que la conversion de sa fille n'avait rien de spontané. Hélène est amoureuse d'un jeune Egyptien, Adham, rencontré en 3e au collège Janson-de-Sailly (Paris 16e). Le jeune homme lui envoie régulièrement des vidéos salafistes et s'occupe de son éducation religieuse.
Claire saisit le smartphone posé sur la table du salon, qu'elle a confisqué à sa fille, et fait défiler les messages. « Quand j'ai découvert cette correspondance, il m'a fallu une nuit pour tout lire. Je n'y croyais pas, c'était horrible. Le lendemain matin, j'ai vomi. Puis je suis allée porter plainte pour abus de faiblesse et emprise mentale, et j'ai formulé une opposition à la sortie du territoire à la préfecture. »
Adham, qu'Hélène appelle « Nounours », est rentré au Caire au printemps. Il téléguide sa promise, lui interdisant, entre des icônes en forme de cœur et des « MDR » (« mort de rire »), tout contact avec les hommes. Il lui défend d'aller au cinéma, un acte de « mécréance », et l'incite à rompre avec sa famille. La correspondance, intense et obsessionnelle, compte des dizaines de SMS par jour.
« Pas de bises à personne, même si on te tue. Je te fais confiance (…). T'arrive à éviter les hommes quand y a des invités ?
– Jvais essayer inch Allah
– Toucher homme étranger pubère = fornication. C'est un des trucs qui pourra annuler le mariage (…). Bonne nuit mon cœur, ma vie, mon amour, ma princesse, ma femme, mon bébé.
– Tu vas annuler parce qu'on m'a forcée à serrer la main à un mec ? Je pourrais pas toujours éviter Nounours, je fais ce que je peux, inch Allah
– Je rigole pas, tu fais pas ce que tu peux, tu le fais tout court (…). La religion passe avant tout. Je t'aurais prévenue, c'est sérieux. ALLAH TE VOIT ! »
Adham promet à Hélène de l'emmener dans un Etat qui respecte la charia comme Brunei, « pays 100 % musulman ». Il la rebaptise « Sarah » – « ça passe mieux » – et lui explique que sa mère est une « mécréante ». Hélène accuse Claire d'être « intolérante », rompt avec son demi-frère et se fait virer du stage de coiffure dans un salon mixte qui devait valider son CAP.
Depuis quelques semaines, Claire a mis en place une tactique de « désendoctrinement », qu'elle appelle la « stratégie du rose » : « Faire appel à la raison est devenu impossible. J'essaye de la guérir par l'amour. » Elle convainc sa fille de jeter son tapis de prière usé, lui offre un chaton et l'emmène chez Ikea. Elle lui achète un tapis rose et un arbre à chat. Hélène ne jure plus que par le petit chat, au point d'en oublier l'heure des prières. Elle s'est remise à lire les livres qu'elle aimait enfant : les contes de Grimm et les Mille et Une Nuits.
Mais le compte à rebours a commencé dans la tête de Claire : dans onze mois, sa fille aura 18 ans.
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Merci Jacques G.