Des milliers d'esclaves Yézédies dans le Califat
Ce billet est une adaptation française d'une partie d'un article de Matthew Barber, un chercheur et journaliste américain travaillant dans le nord de l'Irak depuis plusieurs mois.
Son article est intitulé: S'ils le voulaient, les Américains pourraient aider à libérer, en une seule journée, des milliers de femmes Yézédies réduites en esclavage.
Première pause: Après avoir fui la violence et sa capture à Sinjar, une adolescente Yazidie s'assoie et pleure à son arrivée dans sa nouvelle maison - une école de Zakho. Photo: Matthew Barber/Syria Comment
(Syrian Comment) L'État islamique a capturé des milliers de femmes et de filles Yézédies.
Ayant séjourné tout l'été dans le nord de l'Irak, j'ai travaillé directement avec ceux qui sont impliquées dans les efforts de sauvetage, et j'ai personnellement interagi avec des familles dont les filles ont été enlevées et qui appellent maintenant leurs parents du lieu de leur captivité.
Un grand nombre de femmes capturées ont encore leurs téléphones portables, et appellent leurs familles.
Beaucoup de ravisseurs ne font rien pour les en empêcher: dans certains cas, les jihadistes exploitent cette communication pour accroître la terreur dans le coeur des familles; dans d'autres cas, les nouveaux «maîtres» permettent à leurs «esclaves» de rester en contact avec la famille car ils cherchent à intégrer les captives dans le rôle d'esclaves domestiques, avec les privilèges et les devoirs qui en découlent.
Un ami Yézédi avec qui j'ai travaillé à Dohouk a fait en sorte qu'un groupe d'hommes armés soit payé pour mener une opération de sauvetage dans une ville irakienne à l'extrême sud de Mossoul, où des filles avaient été capturées.
Ils se sont introduits de force dans la maison où elles étaient emprisonnées par leur «propriétaire», et les ont conduites en lieu sûr.
Elles avaient été transportées de l'autre bout du pays pour être placées dans la maison de leur «acquéreur», où elles faisaient la cuisine et le ménage.
Leur nouveau «maître» leur avait dit: «Vous êtes nos jawari [esclaves capturées en temps de guerre], mais ne vous inquiétez pas, vous deviendrez comme nos propres femmes», ce qui signifie qu'elles seraient intégrées dans la maison pour y vivre comme les autres épouses.
L'une des filles rescapées avait à peine 15 ans. Elle a été torturée parce qu'elle résistait aux avances sexuelles de son «propriétaire».
Une autre a subi un traumatisme psychologique si grave qu'elle est maintenant très malade.
La philosophie justifiant la prise d'esclaves Yézidies est fondée sur l'interprétation, par l'État islamique, des pratiques de figures musulmanes du temps des premières conquêtes islamiques, quand des femmes des sociétés conquises étaient capturées comme esclaves concubines - le butin de guerre.
Bien que l'État islamique a dépouillé les chrétiens de leurs biens, il n'a pas ciblé la communauté chrétienne de la même manière que les Yézédis.
En tant que «Gens du Livre», les chrétiens sont considérés comme ayant certains droits; les Yézidis, en revanche, sont considérés comme des polythéistes par l'État islamique, et sont par conséquent des cibles légitimes pour l'asservissement et l'esclavage s'ils refusent de se convertir à l'islam.
J'ai confirmé avec de multiples témoins oculaires (incluant des musulmans sunnites) de l'attaque initiale du 3 août par l'État islamique contre la ville de Sinjar, que c'étaient bel et bien des combattants de l'État islamique qui s'étaient chargés de séparer les hommmes et les femmes, pour ensuite amener les femmes dans des camions.
Cette opération a été menée par les combattants de l'Etat islamique eux-mêmes, et ce, dès leur arrivée à Sinjar.
Des musulmans qui tentaient de fuir la ville de Sinjar m'ont décrit comment, avant même d'atteindre la ville, les combattants de l'État islamique chargés de l'attaque initiale interceptaient sur les routes des familles en fuite, immobilisaient leurs véhicules et capturaient les passagères -- si elles étaient Yézédies.
La capture systématique des femmes et des filles Yézidies et leur asservissement comme concubines est un projet de l'État islamique.
Les femmes capturées ont été transportées d'un bout à l'autre des régions sunnites de l'Irak, et en Syrie. C'est probablement à Mossoul que se trouve le plus grand nombre de captives.
Juste au sud de Sinjar, il y a aussi quelques lieux où des Yézidies capturées sont détenues.
Grâce à des conversations téléphoniques avec des victimes capturées, des leaders Yézédis du gouvernorat de Dohouk qui travaillent à résoudre ce problème ont obtenu des informations sur le nombre et l'emplacement précis de la plupart d'entre elles. Environ 2.000 Yézidies sont prises au piège dans une douzaine de camps de détention situés dans au moins six villes différentes.
La plupart de ces camps ne contiennent que des femmes, mais au moins l'un deux détient des familles entières.
Sinjar est l'endroit où vit la plus importante communauté yézédie dans le monde. Et la religion yézédie est inextricablement liée aux lieux saints de Sinjar.
Si les Yézédis sont incapables d'y retourner, l'une des dernières minorités non-abrahamiques du Moyen-Orient subira un préjudice durable, et des milliers de femmes captives demeureront esclaves - en 2014.
Source : If the U.S. Wanted To, It Could Help Free Thousands of Enslaved Yazidi Women in a Single Day, par Matthew Barber, Syria Comment, 16 septembre 2014. Adaptation française par Poste de veille