Ménard acclamé à la messe : « Il faut arrêter de baisser son pantalon »
Robert Ménard a tenu ses promesses : il a bel et bien proposé une messe chrétienne en ouverture de la Féria de Béziers, mercredi.
Le maire a quitté l’arène acclamé comme une rock star.
(De Béziers, Hérault) L’ambiance est à la fête ce mercredi, à Béziers.
A la gare, les familles se retrouvent et parlent de leurs plans pour la Féria qui débutera le soir même.
Cette année, Robert Ménard, le nouveau maire élu avec le soutien du Front national, a choisi de faire de cette Féria un événement différent.
Le nouvel élu veut redonner la Féria aux Bitterois, faire de cet événement une fête « plus familiale, plus traditionnelle », parce que, comme il l’a écrit dans une publication municipale :
« Béziers, ce n’est pas Ibiza. La Féria, ce ne peut pas être une boîte de nuit à ciel ouvert ou, en tous les cas, pas que cela. »
Ça se manifestera par une messe en ouverture, dans les arènes.
A la gare, les Biterrois ont la tête ailleurs.
Les condamnations du Front de Gauche et la polémique suscitée par le projet de messe n’ont pas leur place dans les discussions.
Pour beaucoup, Ménard est la star du jour
A 19 heures, l’arène se remplit peu à peu. Les Biterrois montrent Robert Ménard du doigt. Pour beaucoup, il s’agit de la star du jour qu’il ne faudrait pas manquer.
Il discute en contrebas avec quelques invités qui ont eu le privilège d’avoir un siège sur la terre blanche de l’arène.
Ménard finit par s’asseoir au premier rang, aux côtés de sa femme, Emmanuelle Duverger.
Juste en face de lui se dresse un autel recouvert d’un drap blanc, sur lequel repose une croix chrétienne en bois, entourée de deux cierges. Le décor est planté.
Robert Ménard a tenu ses promesses. Il propose bel et bien une messe chrétienne en ouverture de la Féria de Béziers.
Quelques minutes plus tard, une procession toute vêtue de blanc pénètre dans l’arène. Les enfants de chœur ont aussi fait le déplacement pour épauler les religieux présents.
Celui qui introduit la messe au micro déclare qu’ouvrir les corridas par une messe « n’est pas une action innocente ».
Avant d’ajouter qu’il s’agit d’« une déclaration d’amour de toute une ville à ses toreros et à ses arènes. Une ville unie pour chanter ses traditions, c’est-à-dire ses racines et son avenir ».
La municipalité a voulu à tout prix réaffirmer les liens qui existent entre la corrida et la religion chrétienne.
Pas d’ambiguïtés, juste un retour aux sources.
« Que le Seigneur soit avec vous »
La procession fend le parterre d’invités d’honneur sous le chant des guitares. Tous s’agenouillent quelques secondes devant l’estrade avant de prendre place autour de l’autel temporaire. La messe débute.
Robert Ménard a réussi à transformer l’arène de la ville en gigantesque lieu de culte à ciel ouvert.
Lorsque le prêtre prononce « Que le Seigneur soit avec vous », les 5 000 personnes présentes dans l’arène répondent en chœur par « et avec votre esprit ».
Les spectateurs se lèvent aussi à l’unisson et laissent planer un silence de marbre pendant les prières. Des « Halellujah » résonnent au cœur du monument.
C’est une première depuis que la Féria a été créée en 1968 à Béziers.
Le prêtre tient pourtant à se vouloir inclusif, même pour ceux qui ne sont pas chrétiens :
« Nous prions pour la population biterroise dans sa diversité. »
Le religieux s’essaye aussi à la politique internationale, et évoque le sort des Chrétiens d’Irak.
Pas un mot pour les autres. Pas de prière pour les Yézidis, les Palestiniens, les Soudanais du Sud, ou même les Syriens.
Dans l’escalier étroit qui mène aux gradins de l’arène, Houda et Mounira, deux Lyonnaises, ont relevé cette omission :
« Ce qui nous choque, c’est que l’on parle uniquement des Chrétiens d’Irak. Quand on veut mêler politique et religion, on parle de tout, sinon on se tait. »
Elles ne condamnent pas pourtant la tenue d’une telle messe au cœur des arènes.
« Ça va, elle n’a pas duré 100 ans sa messe »
Cathy et Christophe, ne voient rien à redire non plus. D’ailleurs Cathy tient à répéter que cette messe est une très bonne initiative :
« C’est bien, c’est très bien. Pour une fois, ça change. »
Lorsqu’on lui demande si les musulmans biterrois ne pourraient pas se sentir rejetés par une telle cérémonie, elle est catégorique :
« La France est chrétienne non ? Bon alors je ne vois pas où est le problème. »
Deux hommes d’une cinquantaine d’année descendent à leur tour l’escalier de pierre qui mène aux gradins. Eux aussi se réjouissent, mais pas pour les mêmes raisons :
« Bon ça va, elle n’a pas duré 100 ans sa messe. »
Elodie et David, la trentaine, sont tout aussi enthousiastes que Cathy et Christophe. Pour eux, ceux qui ne sont pas satisfaits ou pas à l’aise avec la tenue d’une cérémonie religieuse sont libres :
« Celui qui n’est pas content reste dehors. »
Beaucoup de spectateurs croisés dans les couloirs qui mènent à la sortie du monument partagent cette opinion.
La messe est ouverte pour ceux qui le veulent, les autres peuvent boycotter, mais inutile d’en faire toute une histoire.
Abdel revient du Maroc, où il a passé ses vacances. La polémique lui passe au-dessus de la tête.
Il acquiesce lorsque qu’on lui demande s’il s’en contrefiche : « Ça ne me dérange pas, moi. »
« Il faut arrêter de baisser le pantalon »
Roselyne, une retraitée à l’allure très soignée, voit les choses un peu différemment :
« On est dans un pays à dominante catholique, dans 50 ans ce sera peut-être différent. Il faut affirmer notre croyance. »
Dans ses propos on entrevoit les théories du « grand remplacement » :
« Ces croyances ne disparaîtront pas mais on sera minoritaires. Dans 50 ans, pas maintenant. »
Ménard quitte l’arène, entouré d’une quasi-haie d’honneur qui l’acclame comme une rock star après un concert réussi.
Un groupe de femmes d’une cinquantaine d’années se tient juste devant la sortie de l’arène.
Elles ont toutes fait l’effort de porter de très belles robes de soirée pour l’occasion. Isabelle ne rejette personne, et « n’est pas contre la laïcité ». Mais elle précise tout de même que « quand on va quelque part on s’adapte ». Avant d’ajouter :
« Il faut arrêter de baisser le pantalon.
On nous parle tout le temps des mosquées, et dès que nous on organise une messe chrétienne il y a un scandale. Non. On est dans un pays chrétien. »
A la Bodega d’en face, les deux Florian et leurs amis sirotent tranquillement une bière et du Ricard. L’un des deux Florian, le plus petit, qui a l’allure d’un rugbyman, est assez philosophe :
« C’est bon la messe, ça fait plaisir aux vieux. Ou bien ça occupe les femmes quand on reste avec le jaune. »
L’opposition quasi invisible
Recroisé plus tard dans la soirée, Florian explique pourquoi il soutient Ménard.
Pour lui, le centre-ville s’est beaucoup dégradé et il était nécessaire de changer de cap pour retrouver une vie nocturne digne de ce nom :
« Béziers, c’est devenu de la merde. Moi je fais la fête à Narbonne depuis longtemps. »
Aucun Biterrois rencontré après la messe n’a condamné l’atteinte à la laïcité que dénonçaient pourtant plusieurs cadres de gauche le matin même.
Tous ont unanimement salué un retour à une tradition qui commençait à s’effriter. Même le Midi Libre s’est montré dithyrambique au lendemain de la messe publique des arènes :
« On a vu des concerts de rock réunir moins de personnes dans les arènes de Béziers. »
L’opposition locale est quasi invisible. C’est à Paris que les voix se sont élevées le plus fort, pas dans la région.
Quelques opposants très engagés existent pourtant, comme Claude Zemmour, conseiller régional de gauche, ou l’Union citoyenne et humaniste Jean Moulin, qui veille à signaler et condamner tous les dérapages du nouveau maire.
La messe fait partie de ces dérapages graves, selon Christophe Coquemont, l’un des trois cofondateurs de l’Union citoyenne :
« En parlant d’une messe, Robert Ménard oppose une religion à toutes les autres. C’est illégal puisque opposé à la loi 1905. »
Pour les membres de cette association, « cette messe est une étape supplémentaire », qui leur fait craindre le pire.
Cyril Henrion, autre cofondateur de l’Union, est tout aussi inquiet. Tous soulignent une léthargie politique totale des habitants de Béziers, et même d’élus de la droite républicaine, face aux décisions pourtant polémiques du nouveau maire.
Elie Haboud, député UMP de l’Hérault, avait même fait le déplacement pour assister à la messe de Ménard, selon Christophe Coquemont.
Ce dernier évoque un manque de conscience politique à Béziers pour expliquer ce silence troublant :
« C’est une ville qui a été riche, la politique a toujours été conduite pour servir des intérêts. »
Il en résulte un morcellement que Robert Ménard a su exploiter.
Et puis d’autres qui voudraient s’exprimer ont fini par se taire. « Ils pensent que cela ne sert à rien », se désole Claude Zemmour.
Robert Ménard en « état de grâce »
Claude Zemmour évoque même un « état de grâce » pour Robert Ménard depuis son élection.
Des gens comme Florian qui en ont ras-le-bol, il en existe beaucoup, selon lui :
« Après trois mandats de l’UMP, les gens étaient à bout et n’avaient qu’une seule envie c’était un changement fort. Ils se sont jetés dans les bras du premier venu.
Ménard aime les effets d’annonce et il surfe bien là-dessus. »
Béziers se trouve en grande difficulté économique. Le centre-ville est sinistré et est occupé par des populations en difficulté.
Beaucoup de petits commerçants ont mis la clé sous la porte à cause de la construction du nouveau centre commercial, le Polygone.
Depuis son ouverture, les clients ont déserté pour les grandes enseignes. Le vieux centre-ville Biterrois est l’ombre de ce qu’il était auparavant.
De nombreux habitants ont eu envie de se réapproprier cette partie de la ville.
Cyril Henrion est persuadé que Robert Ménard finira par déloger les populations défavorisées du centre-ville par le biais d’opérations immobilières.
Les inégalités sont aussi extrêmement importantes à Béziers, et Robert Ménard l’a bien compris.
Pour Claude Zemmour, le nouveau maire s’appuie sur les divisions et les communautarismes pour renforcer son assise politique sur la ville.
L’élu sait qu’il peut capitaliser sur la petite bourgeoisie locale et son attachement à la religion et aux traditions. Cette messe a été organisée pour leur faire plaisir plus particulièrement.
Ménard sait aussi que certains habitants ne supportent pas que des populations nouvelles aient pris leur quartier au centre-ville, alors il a voté quelques arrêtés dans ce sens, comme l’interdiction de pendre son linge aux fenêtres.
Ces décisions ne sont pas des attaques frontales contre les minorités de la ville. « Tout cela est très insidieux », selon Christophe Coquemond. Le militant ajoute d’ailleurs que « Ménard n’a pas les moyens de sa politique », et évoque « des effets de communication ».
Pour l’instant cette technique a l’air de très bien fonctionner auprès des Biterrois, comme en témoignent leurs réactions très positives en marge de la messe publique de Ménard.
De quoi sérieusement inquiéter Cyril Henrion et Christophe Coquemont :
« On laisse faire des choses au FN en se disant qu’il ne s’agit que d’une minorité, que ce n’est pas grave.
Là c’est presque 25% des gens si on suit le résultat des Européennes. Donc si c’est grave.
Et c’est très inquiétant pour la suite. »
Source et publication: http://rue89.nouvelobs.com/2014/08/14/menard-acclame-a-messe-faut-arreter-baisser-pantalon-254214