Mémona Hintermann :
« Sur la diversité, je ne reculerai pas, sinon je ne sers à rien »
LE MONDE TELEVISION | 12.02.2014 à 14h33 • Mis à jour le 12.02.2014 à 15h28 |
Propos recueillis par Christine Rousseau
Le baromètre sur la diversité à la télévision montre une légère amélioration concernant les « origines perçues » représentées à l’écran.
Pour vous, est-ce encourageant ?
Il y a un frémissement, mais ce n’est pas suffisant pour qu’on puisse dire que cela va mieux.
Dans les relations que nous entretenons avec les patrons de chaîne, on sent que cette question est encore une obligation et non une ambition. Il faut donc sans cesse revenir à la charge.
Et ne parlons pas du handicap ! On est à 0,4 % de personnes représentées, soit presque rien. C’est comme si ces citoyens n’existaient pas, qu’on ne voulait pas les voir. Qui a peur de ces gens-là ?
De même, les Noirs, les Arabes. Il serait temps, comme les Américains ou les Britanniques, d’engager un véritable débat sur ces questions de manière décomplexée et dépassionnée.
Notamment sur les statistiques ethniques pour lesquelles vous êtes favorables ?
En effet, car tout le problème est là. Dernièrement, quelqu’un m’a dit : « Avec 17 % de non-Blancs représentés dans la fiction, ils auront bientôt atteint le quota ! »Quel quota ?, ai-je rétorqué, puisqu’il n’y a aucune donnée.
Cela montre bien qu’un outil statistique manque cruellement pour savoir où nous en sommes. Sinon nous continuerons d’entretenir les fantasmes, les frustrations et la colère.
Et puis, sincèrement, je ne crois pas que cela nous monterait les uns contre les autres.
Au contraire, ces statistiques ethniques serviraient de levier pour l’action politique, sociale et culturelle.
On est tous MAGIQUES quand on a autant de pouvoirs à portée de main ! http://www.orange.fr/
Les mentalités évoluent sur cette question. La balle est à présent dans le camp des politiques. Sauf que, malheureusement, le sujet de la diversité n’est plus mentionné dans les discours. C’est devenu la « patate chaude ».
Au nom de l’universalité des droits, la gauche n’ose pas s’avancer sur ce terrain.
En ce qui me concerne, je ne reculerai pas sur ce sujet, sinon je ne sers à rien.
Il est urgent de valoriser le vivre-ensemble, sans angélisme, à la télévision, car c’est là qu’il s’incarne.
Les patrons de chaîne vous entendent-ils ?
Je les ai tous rencontrés longuement peu après ma nomination, en janvier 2013. Ils sont conscients des enjeux en tant que citoyens.
Simplement, il faut que la connexion se fasse avec le chef d’entreprise. Et là, on a envie de dire : « Messieurs, encore un petit effort ! » Lorsque je leur ai demandé de faire un clip sur la diversité, diffusé le 14 juillet 2013, ce fut un test. Et ça a marché. Ce qui démontre que l’on peut faire des choses tous ensemble.
Mais cela fonctionnera d’autant mieux que nous le ferons en accord et en coordination avec toutes les chaînes.
Qu’est-ce qui les freine encore ?
Cela tient au fait que les gens qui travaillent à la télévision et à la radio vivent ensemble et reproduisent les comportements de leur groupe social. Il faudrait, à mon sens, introduire davantage de parité et de diversité dans les organigrammes.
Regardez ceux de nos voisins britanniques ou allemands, ils sont bien moins restrictifs qu’en France. Les dirigeants des chaînes en ont conscience.
Ils vont bouger, seulement il faut les y inciter davantage car le temps presse.
Pour autant, je ne peux pas partir en guerre contre eux.
Etes-vous favorables aux quotas ?
Avec des statistiques ethniques, nous n’en aurions pas besoin. Aujourd’hui, si certains, au sein de l’Observatoire de la diversité que je préside, y sont favorables, je crains que cela ne risque de desservir les personnes qui obtiendraient un poste au nom de tel ou tel quota. Je suis donc plutôt contre, mais, si la situation n’évolue pas, nous verrons.
Je me trompe peut-être, mais si j’ai une certitude, c’est qu’il faut que le sentiment de justice soit partagé par tous.
Que pensez-vous de la chaîne Numéro 23 consacrée à la diversité ?
Je n’aime pas l’idée de parquer des gens, un sujet, une question. Cette chaîne ne suffit pas. D’ailleurs, la majorité des spectateurs suivent TF1, France Télévisions, M6 et Canal+.
Cette dernière, justement, sans le crier sur les toits, est au fond la plus exemplaire sur cette question.
Christine Rousseau
Journaliste au MondeSource et publication: http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/02/12/memona-hintermann-sur-la-diversite-je-ne-reculerai-pas-sinon-je-ne-sers-a-rien_4362363_3246.html