MARDI 9 OCTOBRE 2012
Le régicide et le complotisme
Je lis Le Monde de ce samedi, et je tombe dans le supplément télévision sur un article consacré à un documentaire historique. Et le journaliste de relayer le travail des historiens selon lesquels Henri IV n'aurait pas été assassiné par le seul Ravaillac. Notre déséquilibré aurait été soutenu par de puissants cercles en France et à l'étranger, qui avaient intérêt à assassiner ce protestant converti au catholicisme et s'apprêtant à entrer en guerre contre la principale dynastie oligarchique en Europe de l'époque, les Habsbourg. Ce fut pourtant lui seul qui, au terme d'une enquête bâclée et d'un procès inique, fut écartelé en place publique.
Pourquoi la remise en question d'une VO ancienne m'intéresse tant? L'on n'attache plus assez d'importance à l'histoire, dont les principes récurrents devraient pourtant inspire des leçons au-delà de la contingence. Cette critique venant d'autorités de haut niveau a le mérite de ridiculiser le mythe du complotisme, tel qu'il est déployé par les médias pour discréditer la contestation récente à propos du 911 (pour s'en tenir au plus récent complot mensongèrement présenté comme l'oeuvre d'Oussama et de ses quarante voleurs d'al Quaeda, canal historico-afghan).
Le plus savoureux intervient quand Le Monde, qui propage les VO favorables à la loi du plus fort, se fend dans ses colonnes de ce genre de commentaire. Il a valeur d'aveu. D'une part, Le Monde reprend les travaux d'un Taguieff pour vilipender le complotisme, ne craignant ni de multiplier les articles de bas niveau sur le sujet (allant jusqu'à citer comme référence un néo-conservatuer français), ni surtout de bafouer la vérité factuelle, la fin du journalisme - en amalgamant grossièrement le complotisme rigoureux avec les complots avérés.
Cet article constitue la preuve matérielle que les complots pullulent dans l'histoire au plus haut niveau et que Le Monde reconnaît lui-même ses mensonges - à moins de considérer de manière intenable que les complots ont été abolis par la démocratie libérale, tandis qu'auparavant ils existaient. César et Henri IV auraient bien été victimes de complots d'Etat, mais le 911 serait seulement un attentat terroriste commis par des sauvages islamistes et victimes des milliers de complotistes. Lui.
Nos médias propagent un brouet, qui fonctionne par slogans et étiquettes. Le complotisme en fait partie, au même titre que l'antisémitisme (terme impropre). Si Henri IV a été victime d'un complot d'Etat, qui implique des cercles puissants, c'est la preuve que le 911 ne peut avoir été l'oeuvre de marginaux perdus entre les montagnes de Tora-Bora et les bases militaires américaines. Cherchez l'errance.
En attendant que Le Monde reconnaisse son erreur déontologique, ce qui ne risque pas d'arriver sous sa mouture actuelle, le plus drolatique est de voir juxtaposés dans la même page l'article consacré au meurtre de Henri IV et un petit hommage à l'écrivain et sémiologue italien Umberto Eco, qui se moque à sa façon du complotisme. Eco s'il visionnait le documentaire sur l'assassinat de Henri IV en conclurait-il au complotisme paranoïaque de ses auteurs ou conviendrait-il plutôt que sa propre vision à la mode entre en contradiction avec ce qu'avance le documentaire?
Moralité : les thuriféraires du complotisme n'ont pas peur de la contradiction. Ils relayent les enquêtes qui prouvent que l'histoire est jonchée de complots, tant au niveau étatique que privé, et ils assènent des propos d'autant plus erratiques qu'ils font montre de conviction. L'anecdote rappelle au moins ce qu'est le complotisme à la mode : le label médiatique dont usent les propagandistes au service des plus forts pour empêcher de rappeler que les complots existent. Plus il y a de complots, plus la crise est forte. C'est la principale raison pour laquelle on parle autant de complotisme de nos jours dans les médias.