L'armée de terre dispose de trois fois moins de régiments, de six fois moins de chars de bataille et de pièces d'artillerie, de deux fois moins d'hélicoptères qu'en 1990. Son contrat d'objectif a glissé de Livre blanc en Livre blanc pour se rapprocher des 20 000 hommes projetés. Idem pour l'armée de l'air, dont les composantes de transport et de ravitaillement en vol sont à bout.

 

Malgré la professionnalisation et près de 200 milliards d'euros d'investissement matériel, nous en sommes revenus aux mêmes capacités d'engagement qu'en 1990 pour un potentiel bien moindre.

 

 

Certes, quand on regarde nos troupes engagées au Mali, on aperçoit des matériels nouveaux, mais en nombre restreint, au milieu d'images qui rappellent celles de la guerre du Golfe de 1991.


Ainsi, les investissements réalisés depuis la fin de la guerre froide ont été insuffisants pour endiguer une perte des capacités.

 

En économie, lorsque les financements nouveaux ne permettent pas d'augmenter la valeur des actifs, on parle de régime de "cavalerie", résultat d'une phase d'optimisme sans vision à long terme.

En France, cette phase, survenue dès 1990, a eu pour nom "dividendes de la paix". Ces "dividendes" avaient pour objet de participer au rétablissement des finances, avec cet immense avantage que l'effort était demandé au seul ministère dont la majorité du personnel est non syndiquée.

Le budget de la défense est passé de 36 milliards à 29 milliards d'euros de 1991 à 2002, avant de se stabiliser à 32 milliards hors pensions.

GESTION À COURTE VUE

Cette ponction n'a pas empêché le quadruplement de la dette publique durant la même période.

Par son caractère brutal, elle a en revanche placé l'outil de défense dans une situation de tension qui a évolué en crise rampante.

 

On aurait pu s'interroger sur la pertinence d'acquérir ces équipements de haute technologie prévus pour un affrontement bref et paroxysmique sur le sol européen alors que tout indiquait qu'il s'agirait désormais de combattre au loin et longtemps des organisations non étatiques. Cela n'a pas été le cas.

 

On s'est donc retrouvé avec la nécessité de financer avec moins de ressources de nouvelles générations d'équipements au coût d'acquisition et de possession en moyenne quatre fois supérieur à ceux qu'ils remplaçaient.

La gestion à court terme de cette contradiction par réduction et ralentissement des commandes n'a fait qu'aggraver le problème financier en faisant exploser les coûts unitaires et en obligeant à maintenir des matériels anciens dont les coûts d'entretien se sont accrus.

 

A cette gestion à courte vue des programmes industriels se sont ajoutés les coûts imprévus de la professionnalisation et de l'accroissement des opérations extérieures. Les difficultés budgétaires n'ont donc pas cessé, alors que le taux de disponibilité des équipements majeurs diminuait.

L'incapacité à résorber cette "bosse budgétaire" a conduit à ponctionner le budget de fonctionnement par une réduction drastique des effectifs.

 

Celle-ci a certes permis de financer environ 3 % de la loi de programmation mais au prix d'une rationalisation organisationnelle qui a introduit une plus grande rigidité et fragilité des structures de soutien.

Après plus de vingt ans de restriction budgétaire, les armées ne se sont pas encore remises de la ponction brutale des années 1990.

 

On ne peut qu'imaginer les conséquences catastrophiques d'une nouvelle réduction du même ordre sur des capacités opérationnelles au point de rupture mais aussi sur des pans entiers du troisième secteur industriel français. Ne nous leurrons pas, cette faillite budgétaire se doublera d'une crise morale dont on peut percevoir déjà certains signes mais dont on ne peut prédire les manifestations.

 

Michel Goya (Colonel, directeur d'études à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire)

 

SOURCE : LE MONDE

(Merci @ "Eve Alex")