14/03/2013 – 12h00
PARIS (NOVOpress) – Dans la continuité de son livre Sale Blanc ! Chronique d’une haine qui n’existe pas, Gérald Pichon a souhaité poursuivre ses investigations en interrogeant des témoins de cette haine antiblanche au quotidien.
Cette série commence aujourd’hui avec un prisonnier, Français de souche, qui nous éclaire sur les tensions ethniques dans les prisons.
Bonjour, Patrick* (prénom d’emprunt), sans revenir sur les faits qui t’ont conduit en prison, nous avons jugé intéressant et nécessaire d’avoir ton témoignage sur les réalités de cette haine antiblanche au sein de l’univers carcéral.
Peux-tu nous faire part de ton expérience et notamment sur le fait de vivre en étant minoritaire ethniquement ?
Bonjour. J’ai passé plusieurs mois dans une prison parisienne. J’insiste dès le départ sur le fait que ma détention se soit déroulée en Région parisienne, car la composition ethnique des établissements pénitentiaires varie en fonction des régions.
Des anciens détenus d’autres prisons peuvent donc éventuellement avoir une vision différente de la mienne sur certains points.
Je précise en outre que je n’étais pas en quartier d’isolement et que, pour diverses raisons, je sortais lors de la plupart des promenades. J’ai donc pu côtoyer de près un grand nombre de détenus et m’acclimater au mode de vie carcéral.
Il y a beaucoup de choses à dire sur le racisme antiblancs en prison.
Pour résumer, être Blanc est un désavantage évident lorsque vous rentrez, puisque vous vous retrouvez en situation de minorité et que, comme dans beaucoup de lieux régis par la loi du plus fort, la minorité doit se plier à la majorité.
On peut donc comparer la vie d’un Blanc en prison à la vie d’un Blanc habitant dans une cité multiethnique, à la différence près que tous les voisins de votre « quartier » sont des délinquants, voire des criminels qui, pour certains, n’ont plus grand-chose à perdre.
A partir de ces constats, vous devez donc être en permanence sur le qui-vive, car en étant Blanc, vous êtes présumé au départ comme étant sans soutien.
Aux yeux des autres détenus, vous êtes donc une cible potentielle pour diverses pratiques telles que le racket, les pressions pour faire rentrer des objets de l’extérieur après vos parloirs, les agressions gratuites, les vols, etc.
Pour faire face à cette situation, vous avez le choix entre rester toute votre détention dans votre cellule par précaution, rejoindre un groupe pour vous protéger, ou prendre le risque de sortir seul en promenade.
Chaque choix a ses avantages et ses inconvénients.
Certains détenus sont donc menacés et agressés à cause de la couleur de leur peau ou tout simplement car ils n’ont pas de communauté pour les aider ?
D’ailleurs, peut-être que tu reviendras là-dessus, il y a une différence à faire entre les Français de souche et les ressortissants des pays de l’Est notamment…
Le racisme antiblancs en détention, provenant principalement des détenus noirs et arabes habitants des cités parisiennes, repose sur plusieurs préjugés.
Le premier d’entre eux, qui s’avère malheureusement vrai le plus souvent : les Blancs sont faibles et seuls.
Le deuxième préjugé repose sur le fait que le Français blanc est à leurs yeux perçu comme un privilégié à l’extérieur de la prison, alors qu’eux-mêmes seraient censés être victimes de discrimination (travail, logement, etc.).
A l’intérieur, ce sera donc le Blanc la victime et eux les bourreaux.
Enfin, le dernier préjugé est lui beaucoup plus lié aux règles en vigueur dans le microcosme carcéral.
Pour beaucoup de détenus noirs et arabes, la présence d’un Français blanc en prison est perçue comme une anomalie.
Les Français de souche sont vus comme les « touristes de la prison » : ils ne sont que de passage dans le monde fermé de la délinquance aux yeux des jeunes de cité.
En tant que Blanc, vous serez par exemple beaucoup plus facilement soupçonné d’être un violeur ou une balance qu’un détenu d’un autre groupe ethnique.
Dans les deux cas, un soupçon ou une simple rumeur peut vous amener de très graves soucis, et notamment un lynchage (souvent par surprise) en cour de promenade.
Concernant les détenus venant des pays de l’Est (Géorgie, Serbie, Arménie, Roumanie, etc.), ceux-ci sont naturellement plus redoutés et craints que les Français.
Même s’ils sont en minorité, ces détenus ont la réputation, à tort ou à raison, d’être des voyous organisés et déterminés, bien qu’ils soient Blancs eux-aussi.
Au même titre que les membres de la communauté gitane, ils profitent donc a priori d’un certain respect et d’une certaine crainte, même si celle-ci reste toute relative car personne n’est réellement en « sécurité » dans une prison.
Ce qui est sûr, c’est qu’un détenu qui souhaiterait s’en prendre à un autre aura plus d’appréhension face à eux que face à un Français isolé.
Quelle est l’attitude des gardiens et de l’administration pénitentiaire face cette haine latente ?
Il faut différencier les personnes en charge de l’organisation pénitentiaire, qui gèrent le bon fonctionnement de la prison d’un point de vue administratif (notamment à travers le choix de votre cellule, de votre codétenu, de votre cour de promenade, etc.), des surveillants proprement dits que chaque détenu côtoie quotidiennement.
Les uns ne font pas le même métier que les autres.
A l’origine, le souci de l’administration pénitentiaire n’est pas de privilégier tel ou tel groupe, mais de veiller à ce qu’il y ait le moins d’incidents possibles au sein d’une prison.
Au moment d’affecter un détenu dans une cellule ou une promenade, l’administration pense qu’il veut mieux avoir des détenus organisés et hiérarchisés plutôt qu’une masse de personnes incontrôlables ou un agglomérat de petites bandes hétéroclites qui deviendraient très vite rivales.
La voyoucratie est préférable à l’anarchie.
Pour prendre un exemple, en cas de bagarre dans la cour de promenade, il arrive fréquemment que des « figures » de la cour (souvent des leaders de cités réputées chaudes en ce qui concerne l’Île-de-France) interviennent pour séparer les participants, ou favoriser le “tête à tête” plutôt que le lynchage.
Aucun surveillant n’étant présent en promenade par mesure de sécurité, ces leaders peuvent donc être très utiles à l’administration, en évitant des bagarres trop fréquentes ou des comas (voire des morts) dus à des lynchages interminables.
Or, dans une prison où la majorité des détenus sont des jeunes de cité ayant entre 18 et 30 ans, mieux vaut laisser au plus grand nombre le soin de régner.
Du temps de ma détention, l’administration a, par exemple, cherché à diviser le groupe des détenus originaires des pays de l’Est en le répartissant dans plusieurs secteurs de la prison.
Au lieu d’avoir 30 détenus de l’Est dans une cours de 100 personnes, mieux vaut diviser leur groupe par deux ou trois dans plusieurs promenades différentes pour éviter toute tension.
Par ce type de procédé, on maintient un leadership et donc la paix, quitte à être indirectement complice de l’infériorité numérique des détenus blancs.
Indépendamment de leur couleur de peau (un « maton » n’est pas forcément un Blanc, loin de là même), les surveillants sont pour la plupart bien conscients du racisme antiblancs existant, mais ne peuvent ou ne veulent pas faire grand-chose.
Si certains sont de vraies ordures complices de la situation, il arrive néanmoins que d’autres se sentent solidaires des détenus de leur origine.
Mais il n’existe aucune règle générale les concernant, tout comme il n’en existe pas concernant les détenus. Les profils sont très variés.
Ne faire confiance à personne reste la règle à s’appliquer vis-à-vis des uns comme des autres.
Tu nous as parlé de la mentalité de cité, peux-tu nous expliquer ce que tu entends par là ?
La « culture cité » est omniprésente en prison.
D’ailleurs, pour les jeunes de cité, le mode de vie du détenu est assez proche du mode de vie à l’extérieur. Ils jouent à la Playstation, fument du cannabis, font de la musculation, jouent au foot, traînent toute la journée avec leur bande, etc.
Il suffit de regarder une cour de promenade 5 minutes pour constater que la plupart des détenus se comportent comme s’ils étaient en bas de leurs immeubles. A partir de là, dire qu’ils sont “comme chez eux” en prison n’est pas qu’une impression.
Dans tous les cas, à l’intérieur comme à l’extérieur, en cité comme en prison, le Blanc est la plupart du temps perçu comme un étranger de passage dans des lieux qu’ils contrôlent.
Pour autant, il n’existe pas de solidarité raciale entre jeunes de cité.
La plupart des affrontements ont lieu entre détenus de même origine ethnique mais de cités différentes. On reproduit à l’intérieur les réflexes de l’extérieur, c’est-à-dire un mode de vie axé sur la délinquance, la vie en bande et les rivalités entre quartiers.
Enfin, peux-tu nous parler de l’islam en prison ?
Si la majorité des détenus en France sont musulmans, je ne peux pas parler d’un islam radical qui serait revendicatif et généralisé, du moins pour ma détention.
Un certain nombre de détenus, même musulmans, sont bien plus intéressés par l’argent facile que par la religion.
Cependant, il est clair que le manque de « divertissement » inhérent à la peine de prison amène beaucoup de détenus à s’intéresser plus en profondeur à leur religion.
A ce titre, certains détenus islamistes proches des milieux terroristes vont bien souvent leur servir de référents quotidiens et les guider dans leur pratique de l’islam.
Dans tous les cas, j’ai surtout été marqué par un sentiment de conquête du « territoire carcéral ».
En prison, le sentiment de vivre comme dans un pays musulman est permanent, avec une religion qui, même de façon diffuse, va rythmer votre quotidien.
Ce phénomène s’illustre notamment par l’appel à la prière chaque soir d’un détenu à sa fenêtre, les bons de cantine « ramadan » que vous recevez pendant la période du jeûne, ou tout simplement lorsque les musulmans composent les 3/4 de votre cour de promenade.
Enfin, le fait le plus marquant reste tout de même de voir des détenus français blancs convertis à l’islam adopter le comportement des détenus musulmans et traîner avec les bandes de cité.
Une intégration à l’envers.
Propos recueillis par Gérald Pichon
Crédit photo : Dr
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