Le Point.fr - Publié le 21/02/2013 à 09:48 - Modifié le 21/02/2013 à 09:49
L'ex-président de la Côte d'Ivoire est soupçonné de crimes contre l'humanité.
Mais les charges recueillies contre lui seront-elles suffisantes ?
Laurent Gbagbo a été le premier ex-chef d'État remis à la Cour pénale internationale (CPI). Il pourrait être le premier à comparaître. La communauté internationale le tient pour responsable d'un conflit qui a fait des centaines de morts. Opposé àAlassane Ouattara lors des élections présidentielles de 2010, Laurent Gbagbo est déclaré perdant, mais refuse de lâcher le pouvoir.
Les deux camps vont s'affronter de longues semaines, faisant des ravages dans la population civile.
Mardi, lors de l'ouverture de l'audience de confirmation des charges, la procureur de la CPI résume : "Nous sommes là pour envoyer un message fort à ceux qui prévoient, essaient, d'accéder au pouvoir ou de s'y maintenir en ayant recours à la violence et à la brutalité : ils devront dorénavant répondre de leurs actes."
Les charges qui pèsent sur Laurent Gbagbo, en tant que coauteur, font frémir : "Le meurtre d'au moins 166 personnes, le viol d'au moins 34 femmes et jeunes filles et le fait d'avoir infligé à 94 personnes au moins des atteintes graves à l'intégrité physique."
En droit international pénal, ces forfaits portent un nom : crimes contre l'humanité.
Une qualification juridique retenue en 1945 par le tribunal de Nuremberg pour désigner certains des crimes les plus abominables de l'histoire contemporaine commis par les responsables du IIIe Reich.
80 personnes exécutées ou brûlées vives
Fatou Bensouda, la procureur de la CPI, s'est cantonnée aux exactions commises par les forces pro-Gbagbo lors de la période post-électorale, du 16 décembre 2010 au 12 avril 2011.
"En l'espace de seulement quelques jours, la Côte d'Ivoire est passée d'un pays où des citoyens [...] se présentaient massivement aux urnes pour élire leur président à un théâtre de violences extrêmes qui ont plongé une nouvelle fois le pays dans le chaos", note l'accusation.
Quatre événements sont principalement reprochés à Laurent Gbagbo.
Le fait d'avoir lancé, fin 2010 à Abidjan, des attaques contre des civils, faisant ainsi 54 morts, une cinquantaine de blessés et 17 femmes violées.
En mars 2011, ses forces auraient également ouvert le feu contre des manifestantes pacifistes.
Deux semaines plus tard à Abobo, les forces pro-Gbagbo ont "tiré au mortier sur une zone civile densément peuplée où se trouvait un marché local", soutient le procureur. Bilan : plus de 25 morts et une quarantaine de blessés.
Enfin, quelques jours avant son arrestation, le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo appelle le peuple "à poursuivre la lutte contre M. Ouattara et ses supporteurs".
Le 12 avril à Yopougon, son appel est entendu : 80 personnes sont exécutées ou brûlées vives. Dix-sept femmes sont violées.
Une justice des vainqueurs
La réponse de l'avocat de Laurent Gbagbo, Emmanuel Altit, est cinglante : certaines personnes, "qui font du viol systématique une politique", occupent aujourd'hui des postes importants (préfet, commandant de la garde républicaine...). Ils sont connus par Human Rights Watch (HRW), par des ONG et par le département d'État américain, insiste l'avocat.
Mais surtout, "tous ont été nommés par Alassane Ouattara en décembre 2011". "Alors, pourquoi ne sont-ils pas ici ?" s'interroge Emmanuel Altit.
La question mérite d'être posée, aucun mandat d'arrêt n'ayant été lancé contre le clan Ouattara.
Les soutiens de Gbagbo crient à "l'instrumentalisation politique" de la CPI, tandis que les ONG, elles, dénoncent une "justice des vainqueurs".
Ce à quoi le bureau du procureur a répondu, sans complètement convaincre, le 30 novembre 2011 : "Nous continuerons de recueillir des éléments de preuve en toute impartialité et en toute indépendance et nous saisirons la Cour d'autres affaires, quelle que soit l'affiliation politique des personnes concernées. [...] Nul ne peut échapper à la justice pour ces crimes-là."
Bataille juridique
L'objectif de cette audience de confirmation des charges est d'examiner la solidité des preuves. Témoignages, rapports d'ONG, vidéos... Les images sont souvent dures.
Mercredi après-midi, une vidéo a ainsi été projetée durant l'audience. On y distingue un homme en train de brûler vif dans un feu de pneus alimenté par la foule.
Pour autant, la responsabilité de Gbagbo dans ces horreurs n'est pas évidente. La bataille juridique est lancée.
L'accusation va devoir prouver que Gbagbo tirait les ficelles d'un "plan commun" et que les massacres étaient perpétrés en toute connaissance de cause.
Déjà, la défense de Laurent Gbagbo s'organise. Emmanuel Altit pointe "la faiblesse du dossier". "Le procureur a-t-il tenté de forcer la vérité et de réinventer une réalité ?" se demande-t-il. "Nulle part il n'y a un ordre quelconque du président Gbagbo qui corroborerait ne serait-ce qu'une seule des accusations", affirme l'avocat.
Lorsque les preuves auront été examinées et les parties entendues, la chambre préliminaire de la CPI disposera de soixante jours pour dire si le procès doit avoir lieu.
Elle peut estimer que l'enquête est insuffisante ou seulement confirmer une partie des charges.
Quoi qu'il advienne, la Cour est attendue au tournant.
En février 2010, elle a refusé de confirmer les charges contre Bahar Idriss Abu Garda, suspecté de crimes de guerre au Darfour.
En décembre 2011, Mbarushimana, suspecté de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre au Rwanda, s'en est sorti de la même façon.
Si la Cour décidait d'ouvrir le procès de Laurent Gbagbo, elle enverrait enfin au monde le message d'impunité qu'elle souhaite véhiculer : les puissants ne sont plus à l'abri.
Regardez. Les acteurs de l'audience de confirmation des charges expliquent son fonctionnement
Source et publication: http://www.lepoint.fr/monde/video-affaire-gbagbo-la-cour-penale-internationale-se-replonge-dans-l-horreur-21-02-2013-1630435_24.php?xtor=EPR-6-[Newsletter-Quotidienne]-20130221