LA CRITIQUE DE LA GESTION DES AUTORITÉS ALGÉRIENNES À IN AMENAS
Entre naïveté et fausse compassion?
Roger Vetillard
le 22/01/2013
Cet article contient des informations puisées à des sources algériennes.
En effet, Roger Vétillard entretient des contacts suivis avec des correspondants dans ce pays, étant passionné par l’histoire de l’Algérie contemporaine pour laquelle il y consacre de nombreuses recherches.
Il est notamment l’auteur de deux ouvrages qui font référence : « Sétif, mai 1945 » aux éditions de Paris et « 20 Août 1955 : un tournant dans la guerre d’Algérie » aux éditions Riveneuve.
Métamag
L'actualité a fait découvrir au monde entier un lieu de l'extrême sud-est de l'Algérie : In Amenas à 1300 km d'Alger. Cette commune a été créée en 1958 par la France après la découverte des gisements d'hydrocarbures qui ont entrainé le développement d'importantes structures pétrolifères d'huiles et de gaz dès les années 1960. En fait le site concerné par l'assaut du commando islamiste est celui de Tiguentourine situé à 40 km au nord-est de cette petite ville. Ici se trouve un site gazier exploité depuis 2006 par BP, Statoil et la Sonatrach (Les Echos 17/01/2013).
Cet ensemble est situé à moins de 100 km de la frontière libyenne et ne doit pas être confondu avec une raffinerie de la Sonatrach installée dans les faubourgs d'In Amenas (15000 habitants). Ce complexe industriel emploie environ 700 personnes dont une large majorité d'Algériens. BP compte une vingtaine d'expatriés sur ce site et Statoil 17 salariés.
L'usine de traitement du gaz a été construite par une co-entreprise entre le japonais JGC Corp et Kellog, Brown and Root (KBR ex-filiale de l'américain Halliburton) ce qui explique la présence de Japonais et d'Américains parmi les otages.
Elle se situe au centre de 4 gisements de gaz (Tiguentourine, Hassi Ouan Abecheu, Ouan Taredert et Hassi Farida) et est reliée par trois gazoducs de 110 km de long au réseau de transport gazier algérien. L'usine a une base où vivent et mangent les employés. Cette base située à 4 km est gérée par une société française la CIS Catering, dont le siège est à Marseille. C'est cette base de vie qui a été attaquée la première mercredi matin 16 janvier.
Abdelrahmane, dit le nigérien, chef du commando
Entre l'usine et la base il existe un camp militaire établi dans une zone inaccessible sauf laissez-passer des autorités algériennes. L'usine traite du gaz "humide" contenant des condensats liquides similaires au pétrole brut.
L'ensemble a nécessité un investissement de près de 2 milliards de dollars et produit annuellement 9 milliards de mètres cube de gaz soit 12% de la production algérienne et 50000 barils de condensats par jour (18 millions de barils par an).
Le site est investi le mercredi 16 janvier 2013
Il est 5h30, il fait encore nuit ce matin du 16 janvier.
Les employés de l'usine s'apprêtent à prendre leur poste. Certains sont encore dans leur chambre, mais un Japonais, salarié de l'entreprise JGC Corp, l'une de celles qui exploitent le site, se trouve dans un convoi de bus qui doit l'amener de la base de vie à son poste de travail, quand il voit arriver des hommes armés à l'intérieur de puissants véhicules tout-terrain.
Le chauffeur du bus tente un demi-tour désespéré, mais une roue se détache ; tout le monde sort et court vers le point de départ. Plusieurs personnes sont abattues dans leur fuite.
Il y a là une trentaine d'assaillants fortement armés du groupe "Signataires par le Sang". Ils annoncent aux Algériens et aux musulmans qu'ils n'ont rien à craindre et qu'ils recherchent les chrétiens qui tuent leurs frères au Mali et en Afghanistan pour piller les richesses des musulmans. Ils paraissaient bien connaître les lieux.
Ils avaient probablement des complices à l'intérieur du camp. Ils connaissaient jusqu'aux numéros des chambres des expatriés. Certains parlaient l'anglais avec un accent nord-américain (2 des membres du commando qui ont été abattus étaient Canadiens). Ils ont auparavant abattus les gardes. Très vite des cadavres jonchent le sol ; parmi eux plusieurs Japonais.
Des ressortissants étrangers parviennent à se cacher et à échapper aux agresseurs. Ils sont aidés par des collègues algériens qui n'hésitent pas à prendre des risques énormes pour les ravitailler. Certains sont parvenus à s'échapper par un circuit de secours, d'autres lorsque l'armée algérienne a intercepté des véhicules dans lesquels des membres du commando tentaient de déplacer les otages. Trois Japonais ont été tués au moment où ils s'enfuyaient, six de leurs compatriotes ont été tués dans leurs chambres.
C'est le samedi 19 janvier que l'armée algérienne a lancé l'assaut final contre les djihadistes qui ont abattus 7 otages avec d'être éliminés. Dès le jeudi 17 l'armée algérienne avait repris le contrôle de la "zone vie" du complexe gazier.
Les terroristes s'étaient alors repliés dans l'usine avec des otages. Ils ont alors miné les installations menaçant de tout faire sauter s'ils étaient attaqués. L'intervention armée algérienne a mis fin à leur équipée.
Le Bilan Humain et matériel :
Cette intervention de l'armée algérienne (Armée Nationale Populaire - ANP) s'est soldée par la libération de 792 employés dont 107 étrangers et 685 travailleurs algériens.
Trente-deux terroristes ont été éliminés, cinq ou six ont pu s'échapper. Il y a par ailleurs au moins 48 victimes parmi le personnel du site dont 29 étrangers. On ne parle pas des victimes au sein des forces spéciales.
L'opération a permis la récupération de 6 fusils-mitrailleurs (FMPK), 21 fusils PMAK, deux fusils à lunettes, 2 mortiers 60mm avec roquettes, 6 missiles de type C5 60mm avec rampes de lancement, 2 RPG7 avec 8 roquettes, 10 grenades disposées en ceintures explosives, des tenues militaires et un stock de munitions et d'explosifs.
L'usine était minée; l'armée algérienne mettra plusieurs jours à mener à bien le déminage.
Qui sont les corps de troupes qui ont libéré le site ?
La presse internationale parle des Forces Spéciale de l'Armée Nationale Populaire algérienne qui ont libéré le site gazier.
Ces forces spéciales algériennes ont une grande expérience acquise sur le terrain dans la lutte anti-terroriste depuis plus de 20 ans. Ce sont 3 unités d'élite de l'ANP qui ont été engagées à Tiguentourine. Deux groupes d'intervention (le GIS et le DSI) ont été affectés aux opérations et appuyés par des unités de commandos parachutistes.
A/Le Groupement d'Intervention Spéciale – GIS- est une unité d'intervention rattachée au DRS (département du Renseignement et de la Sécurité), les services secrets algériens créés en 1989 pour prendre la suite de la Sécurité Militaire.
Il est composé de 3 compagnies de 100 hommes.Il dépend directement du général commandant la gendarmerie nationale à l'image du GIGN en France. Depuis 1992 le GIS s'est fait remarquer en menant une lutte implacable contre les Groupes Islamiques Armés (GIA) puis ceux de l'Armée Islamique du Salut (AIS) et ceux du groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Les hommes du GIS sont initiés aux techniques de combat les plus extrêmes et sont en mesure d'intervenir en tous lieux et à tous moments dans n'importe quelle situation. Leur expérience est reconnue en Algérie et dans la plupart des pays du monde.
Gis
B/Le Détachement Spécial d'Intervention - DIS- a été créé le 27 août 1989 par décret présidentiel et placé sous le commandement du général commandant la gendarmerie nationale à l'image du GIGN en France.
Il est engagé dans des opérations délicates nécessitant des techniques ou des moyens d'actions particuliers. Outre sa mission de maintien de l'ordre, le DIS est chargé de la lutte anti-terroriste et de la libération d'otages, la neutralisation de forcenés ou de malfaiteurs dangereux, l'escorte et le transfert de détenus dangereux… Ses recrues sont engagées au bout d'un stage de 6 mois et après un test final parmi les meilleurs gendarmes pour une formation permanente en Algérie et à l'étranger.
Dsi
C/Les commandos parachutistes : Ce sont des unités spécialisées de l'ANP qui sont transportées par avion sur les lieux des combats et larguées en parachute ou déposées par hélicoptères.
Elles relèvent du commandement des forces terrestres.
Après avoir suivi une formation à l'Ecole des sous-officiers de Khenchela, les troupes spéciales rejoignent leur Ecole d'Application à Biskra où elles vont subir durant 4 ans une préparation spéciale basée sur un dur entrainement physique et une préparation psychologique très pointue.
Ces hommes sont en mesure d'effectuer avec tout leur équipement un parcours de marche commando de plus de 100 km au terme duquel ils peuvent être immédiatement engagés dans un assaut.
Commandos parachutistes
Un assaut des forces algériennes qui est très critiqué :
La presse française et européenne, notamment britannique, n'a pas apprécié que l'Algérie intervienne très rapidement, qu'il y ait eu des morts parmi les otages et que les informations issues du pouvoir politique algérien aient été très fragmentaires.
C'est ainsi que le Gardian, pour ne citer que lui écrit que "le refus de négocier avec les terroristes qui ont frappé au cœur battant de l’industrie des hydrocarbures de l’Algérie ressemble à rien de moins qu’une réponse instinctive, conditionnée par une histoire brutale de ce pays ". A cela les Algériens répondent par des arguments qui méritent d'être entendus :
1-Dans cette affaire on omet de dire que l'Etat algérien a agi en conformité aux préceptes adoptés par la communauté internationale interdisant aux Etats de négocier avec des ravisseurs ou des preneurs d'otages et de céder à leurs exigences,
2-L'Algérie est un pays souverain qui prend ses décisions seul. Elle n'a pas besoin d'une intervention étrangère voire du feu vert d'une quelconque chancellerie occidentale, et les journalistes ne sont pas des spécialistes de la prise en charge de ces conflits.
3- Il n'y a pas de place à la négociation avec les terroristes. Ces derniers sont préparés à mourir et n'ont qu'une seule revendication : augmenter leurs gains pour mieux s'armer. Elle rappelle que 200 millions d'euros ont été versés par des pays européens à AQMI depuis 2003. Et que les occidentaux ont armés les islamistes en Lybie et continuent à le faire en Syrie. Le résultat est dès lors évident à constater. Les occidentaux étaient prêts à vendre aux Soviétiques la corde destinée à les pendre, ici ils font mieux, ils donnent les armes qui se retournent contre eux.
4-Pour elle, la vie d'un occidental vaut autant que la vie d'un algérien. Elle n'a pas de traitement particulier pour un passeport bleu ou rouge. Plus de 700 personnes ont été libérées ce qui est une réussite, même s'il y a eu 48 tués dont 25 au moins l'ont été avant l'intervention militaire. Il faut se souvenir que la prise d'otages en octobre 2002 dans un théâtre de Moscou avec pratiquement la même configuration. Le gaz utilisé avait tué 129 otages mais permis d'en sauver 721 autres. De la même façon la presse occidentale s'était montrée fort critique sur le procédé. Les 39 terroristes tchétchènes avaient été éliminés. Il est compréhensible que des Etats aient tenté d'expliquer aux autorités algériennes ce qu'elles devaient faire, qu'ils s'inquiètent du sort de leurs ressortissants et qu'ils demandent aux Algériens de tout faire pour éviter toute perte en vies humaines. Mais il n'est compréhensible que certains pays aient fait pression pour que la force ne soit pas employée quelques soit le contexte.
5- Ce n'est pas une simple prise d'otages mais une guerre que l'Algérie mène depuis 20 ans. Il faut donc accepter les pertes "collatérales". Les bonnes âmes depuis leur bureau n'ont pas pleuré les 200.000 morts de la guerre civile des années 1990 alors qu'une trentaine de vies occidentales les ont fait sortie de leurs gonds.Et le terrorisme œuvrant sous le masque islamiste est une menace dont l'Algérie plus que tout autre pays mesure l'exacte réalité.
6-La fermeté observée est obligatoire avec ces terroristes. S'ils réalisent qu'on ne paie pas de rançons, ils ne reprendront plus jamais d'otages.
7-Le manque de communication est une stratégie et non une mauvaise habitude. Plus vous donnez de détails, plus vous donnez d'armes aux ravisseurs. Ces derniers ont des téléphones satellites et ils reçoivent tout ce qui est dit par la presse
8- L'intervention était urgente car l'usine de traitement du gaz était minée, prête à exploser dès la moindre alerte. Les dégâts auraient été considérables, il n'y aurait eu aucun survivant. Il ne fallait pas laisser pourrir la situation.
9-Les sites pétroliers et gaziers algériens dans le Sahara sont nombreux. L'Algérie ne peut pas se permettre de les exposer à de nouvelles attaques. Il était important de décourager les futurs assaillants potentiels.
10-Enfin le gouvernement algérien qui gère une situation politique et économique difficile ne peut se permettre de se passer des ressources financières d'un tel site pendant une longue période.
Ces arguments sont recevables même s'ils heurtent la sensibilité médiatique occidentale. Gageons que les djihadistes réfléchiront à plusieurs fois avant de récidiver sur un site algérien.
Les guerres propres, l'absence de dégâts collatéraux, les frappes chirurgicales, les armées qui livrent des combats pacifiques, ce sont des utopies parfois annoncées dans le cadre d'une stratégie médiatique. Bien sûr on préfère qu'il n'y ait pas de victimes innocentes mais les exemples sont nombreux qui montrent que les islamistes ne négocient jamais, qu'ils ne font aucune concession.
Ils veulent de l'argent, un retentissement médiatique de leurs actions, et accessoirement la libération de certains de leurs comparses emprisonnés à travers divers Etats du monde…
Et Christian Prouteau, le premier responsable du GIGN en France, rappelle qu'à Ain Amenas on était dans une configuration très particulière plus proche de la guerre avec beaucoup d'otages et beaucoup de preneurs d'otages.
Ceci dit, imaginons ce que serait la réaction de l'Algérie dans une situation inverse : une prise d'otages parmi lesquels de nombreux Algériens dans un pays occidental. Une intervention des forces de l'ordre avec des dizaines d'Algériens tués.
Et enfin, il faut bien constater le silence des dirigeants de l'Etat algérien et l'ambigüité qu'ils professent face au terrorisme lorsqu'ils ne sont pas concernés.
Nous attendons dès lors de l'Algérie une même fermeté quand des actes de terrorisme, telle l'affaire Merah pour ne citer qu'elle, se produisent hors de son territoire.
Photo en tête : Moktar Belmokhtar dit le borgne, chef des "Signataires par le Sang"
Source et publication: http://metamag.fr/metamag-1129-La-critique-de-la--gestion-des-autorites-algeriennes-a-In-Amenas-Entre-naïvete-et-fausse-compassion-.html