Reconnaitre l’Iran
Voilà bien le type même d’essai historique qui vous met mal à l’aise, vous fait monter au front le rouge de la honte : Les grandes figures de l’Iran mettent en scène treize figures majeures d’un peuple héritier en filiation directe de l’antique Perse.
L’Iran procède d’une histoire étirée sur 35 siècles au moins. Qu’en savons-nous en France ? Très peu de choses.
Il y a bien, aux origines, Zarathoustra (mais très recomposé et déformé par Nietzche), Cyrus le Grand, Darius et Xerxès Ier, les deux vaincus de Marathon et Salamine, des faits d’armes exaltés par les Grecs mais secondaires aux yeux des Perses.
Et puis, après, un vide immense, peut-être Shah Abbas, contemporain d’Henri IV et Louis XIII…
Dans le contexte de la guerre froide, Mossadegh, le pourfendeur nationaliste des géants pétroliers venus exploiter le pétrole iranien…, le dernier shah, Mohamed Réza Pahlavi qu’un ayatollah couvé par la France, Khomeyni, renverse pour fonder une république théocratique, tout juste retournée, en 2015, dans le jeu international.
Des miettes d’histoire donc et d’immenses solutions de continuité qui mettent à mal l’intelligence d’un « continuum » faisant de l’espace iranien un flux inscrit dans un « temps long » du double de la France ! Comment remédier à notre ignorance ?
En lisant de bons auteurs. Houchang Nahavandi a été recteur des universités de Shivaz et Téhéran, Yves Bonati, diplômé de l’Ecole pratique des hautes études, est spécialiste d’histoire des religions du Proche-Orient. Deux universitaires donc mais à la démarche parfaitement pédagogique, livrant un travail accessible à tous, ou presque.
Ajouter à cela des qualités d’exposition et d’écriture (Nahavandi écrit en français) qui rendent leur suite de figures mémorables passionnante.
Impossible, ici, de les reprendre toutes, juste quelques étapes.
– Zarathoustra qui écrit ses « Ghates », ses hymnes sacrés, autour du 15° siècle avant notre ère.
Il est le Zoroastre des Grecs. Sa méditation sur les principes permettant d’accéder au bonheur sera proscrite par le deuxième calife, Omar ibn al Khattâb mais elle survivra, plus ou moins souterraine. Le dieu unique Ahura Mazda qui cumule les principes mâle et femelle vient avant les religions du Livre et les perfuse.
– Cyrus le Grand (559-530 av. J.-C.) fut non seulement un conquérant mais aussi un législateur.
Ce qu’on appelle le « cylindre de Cyrus » (une inscription d’argile qui consigne, dans la gloire, sa vie) peut être reconnu comme la première des déclarations des droits de l’homme. Cyrus garantit la liberté et la sécurité de tous, il affranchit les peuples réduits en esclavage.
– Une démarche organisatrice et régulatrice que l’on retrouve chez Mithridate Ier, sixième roi de la dynastie des Arsacides qui s’imposa pendant un demi-millénaire, de 250 avant notre ère à 224. Il met en place des organes représentatifs pouvant légiférer.
Selon les auteurs, Mithridate anticipe sur la Grande Charte imposée à Jean Sans Terre en 1215.
– Chapour Ier le Sassanide (200-272) fut le vainqueur du Romain Valérien à Carrhes en 259. Mais il est aussi celui qui fait traduire en pahlavi (ancien persan) les grands textes grecs, latins et bouddhistes. Il réunit à Ctésiphon, sa capitale, des érudits de toutes origines et fonde une académie.
A l’aube du deuxième millénaire, les auteurs insistent sur la figure de Ferdowsi (930-1020), immense poète qui délecta Heine et Lamartine. De lui :
« Les édifices les mieux construits se désagrègent
Sous l’action de la pluie et de l’ardent soleil
Mais sur le monument que mes vers ont bâti
Ni le vent ni la pluie n’auront de prise… »
– Son contemporain Avicienne (980-1037) a été salué comme le prince des savants. Un musulman éclairé, sans tabous ni interdits sexuels, mettant en marche une médecine expérimentale et préventive, un millénaire avant Claude Bernard !
Poursuivons, trop vite, avec Ismaïl Ier (1487-1527) le « shah aux yeux bleus », monarque de droit divin, maître d’un empire de trois millions de km2. Ennemi des Turcs ottomans qu’il endigue un temps.
L’imposition du chi’isme comme religion d’Etat n’est pas « un caprice royal » mais une manière de réunir tous ses sujets « sous une même bannière, en creusant un fossé irréversible avec les peuples voisins».
– A Shah Abbas (1571-1628), le grand Safavide, revient le mérite d’avoir donné aux Iraniens Ispahan, « la moitié du monde », ses joyaux, le « Meidan-è-shah », la place royale, la mosquée royale…
Le déclin iranien vient ensuite. Un état décadent qui fait du pays une proie facile pour les puissances coloniales.
Pour leur résister, un grand ministre réformateur, Amir Kabir (1802-1852) qui se met à l’école de l’Europe.
Son échec est resté dans toutes les mémoires et il survit dans l’esprit de Réza Shah (déposé par les Anglo-Américains et les Russes en 1941) et dans celui de son fils, le dernier Shah.
Pour conclure, Bomati et Nahavandi insistent sur la spécificité iranienne, cette « iranité » qui a toujours su résister aux agressions extérieures.
Le plus grand défi aujourd’hui est d’affronter le monde ouvert à tous les caprices et méfaits de la mondialisation.
Retour aux sources et modernité doivent se conjuguer et redonner sa place à un pays de vieille culture, si proche de l’Europe puisque procédant de la même matrice indo-européenne.
Jean Heurtin
Les grandes figures de l’Iran, Houchang Nahavandi et Yves Bomati, Perrin
Photo : DR
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