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Qui sont les femmes qui portent le voile intégral ?

Yves Marc Ajchenbaum | le 12.06.2012 à 10:57   Couverture du livre de Maryam Borghée

Le 13 juillet 2010 - date symbolique s'il en est -, l'Assemblée nationale adopte en première lecture et à l'unanimité, un projet de loi visant à interdire la dissimulation du visage dans l'espace public.

Le 14 septembre, le texte définitif est adopté,le Sénat n'ayant proposé aucune modification au projet de loi. Le 7 octobre, le Conseil constitutionnel déclare la loi conforme tout en formulant une réserve d'interprétation : au nom de la liberté religieuse, la loi ne pourra s'appliquer dans les lieux de culte ouverts au public.

Le 11 octobre, la loi est promulguée, elle est publiée au Journal officiel le lendemain. Elle s'applique depuis le 11 avril 2011, en métropole comme en outre-mer.

Combien étaient-elles à porter le niqab, pièce de tissu qui laisse les yeux visibles ou le sitâr, pièce qui doit recouvrir aussi les yeux avant la promulgation de cette loi ? 2 000 environ selon les estimations du ministère de l'intérieur. Maryam Borghée, jeune sociologue, n'a pas attendu le débat parlementaire pour s'intéresser à ces femmes. Elle en a rencontré 70 environ, mais seulement 24 ont accepté de participer à l'enquête sociologique qu'elle a menée dans le cadre d'un Master universitaire.

Ce travail fait aujourd'hui l'objet d'une publication.

Toutes ces jeunes femmes sont des citoyennes françaises passées, avec plus ou moins de bonheur, par les écoles de la République.

Certaines sont issus d'une immigration peu pratiquante, d'autres viennent des profondeurs du terroir français et se sont converties à l'islam.

La plupart appartiennent à un milieu social et familial marqué par le chaos, la violence et la douleur. Pour résumer, « si la pratique du niqab s'explique par des raisons complexes et interpénétrées, elle concerne principalement un sujet anomique qui ne parvient pas à se construire selon les voies habituelles ».

En une phrase l'essentiel est dit. 

Le voile : une « quête d'absolu »

Ce livre est donc une histoire de vie, à plusieurs voix, l'histoire de quelques jeunes « niqabistes ».

Pour chaque voix, une famille d'origine en perdition, une relation avec l'espace social français conflictuel et une volonté de s'imposer au sein de la communauté musulmane. Porter le voile intégral devient un combat vis-à-vis du monde extérieur, quel qu'il soit.

Il est l'expression d'une détermination, même vis-à-vis de l'époux musulman et surtout, souligne Maryam Borghée, il est une étape dans une reconstruction de la personnalité.

C'est, explique l'auteure, une façon de reprendre goût à la vie en s'opposant et en s'imposant. Et la croyance religieuse, l'obéissance à Dieu, sous la forme d'une austérité purificatrice en est le passage obligé.

Ce phénomène n'est pas nouveau, les engagements sectaires ont largement été étudiés comme plus largement les processus de construction de la personnalité chez les jeunes, hommes ou femmes.

La quête d'absolu est une démarche qui a fait l'objet de toute une littérature. Dans ce cadre, le travail de Maryam Borghée n'est donc pas un travail de rupture et ce d'autant plus qu'il donne peu d'informations sur les circuits qui favorisent cet engagement religieux radical.

Elle évoque bien la consultation par ces jeunes femmes des nombreux sites internet, l'influence sur le terrain du mouvement missionnaire tablîgh et les rencontres avec « des soeurs » du mouvement salafiste.

Mais on aurait aimé mieux comprendre la force de pénétration du message religieux extrémiste. Les échecs professionnels, sentimentaux, scolaires, l'exclusion et le sentiment d'injustice ne suffisent pas à expliquer cette plongée dans le radicalisme musulman que l'on ne saurait réduire au port d'un vêtement.

Il y a cinquante ans, la construction des jeunes personnalités se faisait comme aujourd'hui grâce à des lectures, à des rencontres, à des amitiés.

Mais les points de contacts influents se nommaient :mouvements laïques d'éducation populaire, Parti communiste et ses filiales sportives ou syndicales, mouvements de la jeunesse chrétienne, dans les milieux ouvriers, étudiants, comme dans le monde agricole. La palette était variée, les influences aussi.

Faut-il en conclure qu'il ne reste dans les quartiers populaires que la radicalité musulmane pour encadrer une jeunesse en construction ? Maryam Borghée ne se pose pas la question. De son point de vue, le port du voile intégral n'est nullement le résultat « d'un conditionnement organisé et systématique ».

Enfin on ne peut escamoter une question d'ordre méthodologique : le travail d'enquête auprès de 24 femmes, même s'il est de longue haleine, suffit-il à comprendre ce phénomène  du voile intégral ?

Nombre d'enquêtes sociologiques organisées autour d'entretiens qualitatifs répétés sur la durée permettent incontestablement de comprendre en finesse des mouvements sociétaux. Et si l'on accepte ce présupposé, le travail de Maryam Borghée est passionnant.

Mais sa lecture déclenche au moins une nouvelle interrogation: son échantillon est-il représentatif de ces 2 000 femmes qui, avant la promulgation de la loi, portaient le voile intégral ? Cette minorité visible qui s'affichait en se masquant, ces femmes « loyalistes et objectivement inoffensives », étaient-elles toutes issues d'une société démocratique occidentale ouverte attachée aux valeurs égalitaristes que l'on perçoit fortement ancrées sous le voile de ces 24 jeunes femmes ?

En refermant ce livre, la question demeure.

Voile intégral en France, sociologie d'un paradoxe

Maryam Borghée

Préface de Michel Wieviorka

Éditions Michalon, Paris


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