Entretien – Ces Français de Moscou qui prônent le rapprochement franco-russe
Ils se sont appelés « Français libres ». Ce n’est sans doute pas un hasard.
Depuis Moscou, ces citoyens et patriotes français éditent un bulletin d’informationnumérique gratuit afin de promouvoir la relation franco-russe.
Récemment, ils ont lancé un appel pour que la France livre les navires Mistral et pour la levée des sanctions bruxelloises. Nous avons interrogé l’un des responsables de ce mouvement, Rémy Berthonneau.
► LBDP : Vous avez lancé l’association « Français libres », qui entend promouvoir le rapprochement entre la France et la Russie. Pouvez-nous nous présenter votre initiative ?
R.B. : Nous sommes un collectif de citoyens français résidant en Russie, nous nous sommes rencontrés lors d’une réunion publique de Nicolas Dupont-Aignan à Moscou, en mars dernier. J’ai pu constater que de nombreux Français sont inquiets et déçus par la méfiance et l’incompréhension actuelles entre la France et la Russie. Ils sont aussi déterminés à agir pour défendre la relation franco-russe et les intérêts français en Russie. Ensemble nous avons décidé de créer un bulletin d’information pour mieux éclairer nos compatriotes et nos élus sur la Russie contemporaine, sa place dans le monde, la relation franco-russe.
► La France et la Russie n’ont pas toujours eu des intérêts communs, mais parfois des intérêts clairement antagonistes. Sur quelle base souhaitez-vous les rassembler ?
Le général de Gaulle avait déclaré en 1944 qu’unies la France et la Russie étaient fortes, désunies elles étaient en danger. Nous croyons que cette phrase est plus que jamais d’actualité. Dans les grandes crises du monde la Russie et la France peuvent apporter une réponse commune, en Syrie, en Libye, en Palestine. Ensemble nous pouvons créer une grande Europe de dialogue et de coopération, plutôt que d’entretenir un climat de guerre froide qui nuira à nos deux pays.
Lorsque l’on observe notre histoire, nous constatons que Napoléon a fragilisé la France en attaquant la Russie. L’absence d’une relation de confiance entre la France et la Russie au XIXe siècle a fait le jeu de l’Allemagne bismarckienne. La France et la Russie ont à la fin du XIXe siècle compris leurs intérêts communs. Notre relation a permis d’établir une alliance salutaire. La révolution bolchevique et le retrait de l’URSS du concert européen dans les années 20 et 30 a laissé la France seule dans sa volonté de s’opposer à l’Allemagne, alors que l’Angleterre et les Etats Unis dans cette période ont été plus que bienveillants avec le vaincu de 1918. Il a fallu la vision du général de Gaulle pour que la France et la Russie reprennent langue : le général estimait que sous l’URSS, la Russie millénaire se poursuivait. Tout en refusant et dénonçant les travers du régime soviétique, de Gaulle pensait que la Russie débarrassée de l’idéologie communiste pourrait devenir un des acteurs majeurs de l’Europe des nations qu’il appelait de ses vœux.
L’absence de vision stratégique actuelle de nos dirigeants met en péril la paix en Europe et fragilise notre pays. Enfin, il est évident que la Russie est depuis le dix-huitième siècle parmi les plus grandes et brillantes civilisations européennes, qui noue un dialogue permanent avec la civilisation française. Cela suffit largement à promouvoir un rapprochement.
► Parlons de votre récent appel pour que la France livre les Mistrals et lève les sanctions contre Moscou. Où en sont les soutiens ?
L’appel, que vous pouvez signer et soutenir sur notre site, a rassemblé 3100 signatures en une dizaine de jours, 10 députés l’ont signé, dont Nicolas Dupont-Aignan, Thierry Mariani et d’autres députés UMP ou non-inscrits. Jacques Sapir a signé notre appel, ainsi que Jean-Paul Brighelli, ou Yvan Blot. Pauline Betton conseillère consulaire des Français de l’étranger nous soutient. La communauté d’affaires française en Russie est aussi sensible à notre action.
► Avez-vous eu des retours de l’autorité russe par rapport à votre action ?
Nous n’avons pas de retours des autorités russes, pour la bonne raison que, et je veux insister sur ce point, nous ne travaillons pas pour la Russie, mais pour la France et ses intérêts en Russie. Nous ne sommes pas la voix de la Russie, nous sommes des patriotes français soucieux du maintien de bonnes relations avec la Russie.
► Vous dites que les intérêts de la France en Russie sont à la fois très nombreux mais méconnus des Français. Quels sont-ils ?
Nos échanges commerciaux atteignaient 17 milliards EUR en 2014, hors Union Européenne et Etats-Unis, la Russie est notre troisième partenaire commercial, nous exportons en premier lieu des biens de haute technologue vers la Russie, des biens mécaniques, électroniques, de transport, des produits pharmaceutiques et des produits agricoles. Notre coopération dans l’aéronautique, l’industrie nucléaire, la défense est très avancée et nos grands groupes sont bien implantés en Russie, qui est considérée par tous comme un marché stratégique. Malheureusement les sanctions ont réduit nos parts de marché, alors que dans le même temps les parts de marché des Etats Unis se sont maintenus et augmentent même. De nombreux emplois ont été détruits en France à cause des sanctions.
Au-delà de cette relation commerciale, la coopération scolaire universitaire linguistique et scientifique est très dense ; affaiblir ces liens est une trahison du gouvernement français.
► Vous-même, qui vivez en Russie, quel est votre sentiment sur l’image que se font les Russes de la France ? Constatez-vous une certaine francophilie ?
Les Russes sont très francophiles, il est même étonnant que cette francophilie se maintienne en dépit des tensions, des conflits, des sanctions, et disons-le, de l’hostilité envers la Russie d’une part importante des media français. La France fait rêver, et est souvent perçue comme un paradis de raffinement et de haute culture. La déception est parfois à la hauteur de ces attentes ! Les Russes regrettent que la France se rapetisse. Sur le plan plus politique et bilatéral, Jacques Chirac a laissé une image très positive aux Russes et je crois que le deuxième mandat de Jacques Chirac a été un des meilleurs ces trente dernières années, quant à la qualité de la relation bilatérale. L’opposition franco-germano-russe à la guerre d’Irak a été un moment fort. Malheureusement, depuis, nos diplomaties se sont trop souvent opposées pour ne pas dégrader la relation bilatérale d’Etat à Etat. Nicolas Sarkozy comme François Hollande portent une responsabilité importante dans cette dégradation où l’on distingue mal où nos gouvernements défendent l’intérêt national.
Les Français et les Russes ne sont pas des peuples marchands, nous croyons que nous avons une responsabilité mondiale particulière fondée sur le respect des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, la défense d’un monde multipolaire et une coopération mondiale respectueuse de l’indépendance des nations.
► Marine Le Pen a récemment rencontré le président de la Douma. De son côté, Nicolas Dupont-Aignan avait lui aussi, récemment, fait un détour par la Russie. Quel lien existe-t-il entre les partis souverainistes et le Kremlin ?
Il n’y a aucun lien direct, selon moi, entre le Kremlin et les partis souverainistes. La Russie est un pays éminemment souverain, qui n’hésite pas à mener une politique de puissance, et résister à l’hyperpuissance américaine. De ce point de vue, la Russie est un exemple intéressant pour les dirigeants souverainistes. Sans la Russie, il ne peut exister de monde multipolaire, et sans monde multipolaire, il ne peut exister d’indépendance et de souveraineté française.
Par ailleurs, la Russie défend une vision de la société traditionnelle, de bon sens si l’on veut. Elle est de ce point de vue également un exemple intéressant, face à un aventurisme sociétal effréné a l’œuvre dans l’Occident contemporain. D’autres aspects appellent sans doute plus de réserve. Au final, le clivage qui oppose les politiques soucieux de la relation franco-russe et les autres, recoupe le clivage entre les défenseurs de la souveraineté nationale et populaire et ceux qui estiment que la France n’est qu’une région parmi d’autres du monde dit occidental.
Propos recueillis par Christopher Lings
- Pour signer l’appel lancé par les Français Libres, cliquez ici