Jihadistes. L'imam brestois les hérisse
5 mai 2015/
Hervé Chambonnière /
1 L'imam Rachid Abou Houdeyfa, condamné par certains pour ses positions peu modernistes, déplaît aussi, jusqu'en Syrie, pour sa dénonciation de l'extrémisme et du djihadisme.
Sur les réseaux sociaux, Rachid Abou Houdeyfa, l'imam fondamentaliste et hyperconnecté de la mosquée du quartier de Pontanézen, fait un carton. Ce qui lui vaut aussi d'être la cible d'extrémistes de tous bords. Jusqu'en Syrie.
Portrait. Un visage fin et jovial coiffé d'un keffieh, deux yeux malicieux derrière de discrètes lunettes et une longue barbe filandreuse flottant au-dessus d'un kamis blanc immaculé. Tous les vendredis à l'heure de la prière, la même silhouette fluette s'anime dans la mosquée Sunna de Brest, dans le quartier de Pontanézen.
Le même visage apparaît aussi sur les écrans de téléphone et d'ordinateur de centaines d'autres fidèles, partout en France et bien au-delà. En quelques années, l'imam Rachid Abou Houdeyfa ?
Rachid El Jay de son vrai nom ? s'est taillé une solide réputation : 153.405 « J'aime » sur sa page Facebook, 8.500 abonnés à son compte Twitter, 68.763 autres à sa chaîne YouTube. Ses centaines de vidéos totalisent près de 17,6 millions de vues !
Dans une tombe ou à 11.000 m d'altitude Pourquoi un tel succès ? Un discours jeune, des prêches pêchus, collés à l'actualité.
Et un ton syncopé qui électrise ses sermons. L'imam a aussi un sens très prononcé de la mise en scène. Pour parler de la mort, il se fait filmer au coeur d'une tombe, fraîchement creusée (258.536 vues sur YouTube), ou à 11.000 m d'altitude, alors qu'il file au Canada où il doit animer une conférence (près de 61.000 vues). Pour évoquer les loisirs (« Peut-on s'amuser ? »), il apparaît, en tee-shirt, avec des amis, sur un puissant bateau à moteur fendant les eaux méditerranéennes.
Marié, père de cinq enfants, l'imam répond aussi à toutes les questions du quotidien. Aucun sujet ne le rebute. Piercings, faux ongles, épilation, émoticônes, crédit bancaire, menstrues, alcool, divorce... Même les questions les plus inattendues (« peut-on roter pendant la prière ? » ; la réponse dure neuf minutes).
Qu'il évoque « les rapports intimes » ou aborde « le célibat et la masturbation » et la fréquentation s'envole au-delà des 400.000 ou même 600.000 vues. « Je ne suis pas salafiste » Cette « visibilité » irrite aussi beaucoup. Les détracteurs de l'imam raillent du « prêt-à-penser » islamique et son absence d'études théologiques (il est autodidacte). D'autres condamnent ses positions peu modernistes, notamment sur les femmes.
L'homme est même régulièrement taxé de salafiste, un courant de pensée fondamentaliste (*) revendiquant un retour à « l'islam des origines ». Le qualificatif agace Rachid Abou Houdeyfa. « Je ne suis pas salafiste, s'était-il défendu lors de notre entrevue, il y a plusieurs mois.
D'ailleurs, j'ai reçu des mises en garde de ceux qui se définissent comme tels en France ». « Pour moi, il s'inscrit dans le courant salafiste quiétiste (influence saoudienne, wahhabisme), même s'il est beaucoup moins sectaire qu'eux », tranche Romain Caillet, spécialiste des questions islamistes. Insultes et menaces « Vous, les médias, êtes responsables des amalgames qui nous causent tant de torts, reproche l'imam brestois.
Dès qu'on voit un homme avec une barbe, une femme avec un voile, c'est un extrémiste, un salafiste et un terroriste ! Dit-on des prêtres, dans les monastères, qu'ils sont des extrémistes ? Non ! Il s'agit de personnes, comme nous, qui souhaitons nous vouer davantage au dieu auquel nous croyons.
Ces raccourcis créent des tensions et font au contraire le jeu des terroristes. Ces derniers disent à nos jeunes, se sentant stigmatisés : " Voyez comment on vous considère et on vous rejette ! "». Lui veut ouvrir sa mosquée pour montrer qu'il n'a « rien à cacher ».
En janvier 2013, il invite même les écoles de la région brestoise à une « découverte pédagogique ». Aucune ne lui répond.
« Quand on s'ouvre, c'est du prosélytisme. Si on ne le fait pas, on est secrets et suspects ! », dénonce l'imam, qui récolte après cet épisode une flopée de lettres d'insultes et de menaces. « Cela a duré des mois, jusqu'à mon domicile, même la nuit », déplore-t-il.
Cela ne l'a en tout cas pas empêché de lancer, il y a quelques semaines, un appel aux dons (830.000 € espérés) pour financer la construction d'une école musulmane à Brest. (*)
« Contrairement à une idée reçue, les salafistes d'Europe sont, dans leur extrême majorité, très orthodoxes et pacifiques et refusent toute intervention dans le champ politique »
(« Les Français jihadistes », David Thomson, éd. Les Arènes).
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