LE PIÈGE SAOUDIEN (par Maurice D.)
En ce début d’année 2015, la France qui chipote pour livrer à la Russie les bateaux qu’elle a commandés et payés, devient le principal fournisseur d’armes au Moyen-Orient alors qu’il n’existe aucune certitude sur qui les utilisera en finale ni pourquoi faire, si l’on sait à qui elles vont être livrées et par qui elles sont payées.
Ce sont, paraît-il, des considérations morales qui empêchent la livraison des Mistral à la Russie. Bravo, on ignorait que les marchands d’armes eussent des considérations morales quant à l’usage qui est fait des armes livrées à leurs clients. Surtout quand de l’autre main ce même marchand d’armes se fait payer par l’un des principaux financiers du terrorisme djihadiste sunnite et fondamentaliste dans le monde, pour fournir une armée libanaise dont le comportement est plus qu’ambigu.
Dans le cas de la Russie, la position de la France est claire : la Russie empêche l’expansion de l’influence américaine en Europe de l’Est via son bras armé l’OTAN, Obama a barre sur Hollande, il a ordonné à Hollande de bloquer la livraison des Mistral et Hollande s’exécute.
Saint-Nazaire : un Mistral et jeunes officiers russes
Par contre, pour comprendre dans quel guêpier la France se fourre avec cette livraison d’armes au Liban, il faut reprendre l’affaire à son début.
En novembre 2013, le président « par intérim » du Liban, Michel Sleiman, se rend en Arabie saoudite où il se fait sermonner parce que l’armée libanaise ne fait rien pour empêcher le Hezbollah d’alimenter Bachar el-Assad en djihadistes, et même en matériel fourni par la Russie, la Chine et l’Iran. Sleiman qui est pro-sunnite et ami des Saoudiens s’en excuse, expliquant que l’armée libanaise est multiconfessionnelle, emploie des chrétiens et des chiites, doit rester neutre, protéger les modérés et ne pas s’engager du côté de quelqu’extrémisme que ce soit. En plus, elle est trop pauvre et insuffisamment armée pour s’opposer au Hezbollah soutenu par 30 à 40 % des Libanais et fortement armé.
Qu’à cela ne tienne, répondent les Saoudiens, on va vous fournir des armes et c’est nous qui payons, faites donc ce que l’on vous demande.
Les Américains pourraient fournir ces armes. Ils sont les alliés des Saoudiens depuis le pacte du Quincy, c’est bien connu. Mais les Saoudiens sont furieux contre les Américains qui se comportent de manière ambiguë dans le double conflit actuel que mène l’Arabie Saoudite contre Bachar-el-Assad dont elle convoite le pétrole en plus de vouloir supprimer la mécréance alaouite, et contre l’Etat islamique qui conteste son leadership sur l’islam et ses lieux saints.
Les Américains ont refusé de s’engager massivement contre Assad malgré la peine que se sont donné les services secrets saoudiens pour fabriquer des preuves de l’usage d’armes chimiques par Assad contre la population syrienne sunnite, et ils négocient avec l’Iran au lieu d’en débarrasser l’Arabie Saoudite.
De plus, les Saoudiens sentent bien que l’engagement américain dans la coalition anti-Daesh n’est pas clair. Depuis, l’affaire des deux F-16 prétenduement abattus par Daesh est venue conforter leurs soupçons : le « centre-com » de la coalition la joue opaque. Les Saoudiens ne croient pas un seul instant que la milice daeshiste, visiblement aux abois sur les fronts syrien et irakien, puisse abattre des F-16, sans le concours efficace et direct des systèmes de radars sophistiqués, des satellites, et, évidemment, des missiles anti-avion que, seule, possède la coalition qui prétend, de façon très maladroite, combattre Daesh. Viennent à l’appui de cette certitude la panique et la confusion qui ont marqué le discours des médias américains autour du crash du chasseur jordanien : ainsi, a-t-on prétendu d’abord, que Daesh l’aurait abattu, avant que le Pentagone ne revienne sur cette version, affirmant que l’appareil s’était abîmé en mer à la suite d’une avarie, puis qu’il s’est crashé dans le désert près de Raqqa depuis que Daesh menace de « dépecer vivant pour le manger tout cru » le jeune lieutenant-pilote jordanien capturé et montre des photo de morceaux du F-16.
La verrière du cockpit du F-16 exposée à Raqqa
Plus probablement, plutôt que de le manger, Daesh se servira du prisonnier comme monnaie d’échange pour faire libérer des prisonniers qui sont en Jordanie.
Le scénario du chasseur jordanien a été complété par la destruction d’un second F-16, abattu en Irak : les Etats Unis cherchent, ni plus, ni moins, le » démontage » de la coalition, prétendument anti-Daesh, les Saoudiens en sont convaincus d’autant plus que des députés ont demandé au roi Abdallah de Jordanie que leur pays se retire de la coalition et que plusieurs autres « alliés » menacent d’en faire autant (source Aladathnews, agence iranienne).
Aladathnews a été la première à montrer le djihadiste égorgeur normand Maxime Hauchard (à gauche)
Cela parce que Poutine semble avoir fait avancer l’argument d’une solution politique, en réussissant là où les autres ont échoué : en faisant se réunir autour de la même table Bachar el-Assad et ses opposants pro-occidentaux. Les Américains hésitent donc entre deux options : soit entrer dans la négociation pour en prendre la maîtrise et imposer une solution qui leur convienne, c’est-à-dire le contrôle du pétrole et du gaz syrien, soit lancer une action militaire terrestre contre l’armée de Bachar el-Assad, mais cela ne sera possible que s’ils n’ont pas Daesh dans les jambes.
Daesh, c’est leur créature, créée à l’origine avec l’espoir qu’il réglerait vite son compte à Assad, jusqu’à ce que le « Calife » Ibrahim al-Baghdadi prenne son autonomie avec une ambition autrement plus grande : conquérir l’Europe et le Moyen-Orient pour recréer le Califat !
Il aurait été, comme Ben Laden, un agent de la C.I.A.
Les Saoudiens ont vite trouvé le pantin fournisseur d’armes dont ils avaient besoin : Hollande a été invité en Arabie en décembre 2013, un mois après Michel Sleiman.
Ils se sont assurés de sa parfaite incompréhension du très complexe problème du Moyen-Orient, se sont même payé sa tête en lui faisant brandir le sabre de l’islam dans une cérémonie officielle, et lui ont proposé un marché mirifique : contribuer à la paix au Moyen-Orient en fournissant pour 3 milliards (2,1 pour le matériel, 0,9 pour l’entretien et la formation du personnel sur dix ans) d’armes sophistiquées à l’armée libanaise bien connue pour sa neutralité. Elle pourra ainsi taper sur tout le monde et rétablir la paix avec l’aide des conseillers militaires français. Paiement garanti par l’Arabie saoudite.
Et pour le règlement, vous avez un compte où ?
Seulement, il aurait fallu que Hollande connaisse la situation au Liban où l’armée, cela lui est assez reproché par la population, travaille la main dans la main avec le Hezbollah, qui participe au gouvernement et répète à l’envi qu’il veut assurer la stabilité du pays.
À gauche l’armée, à droite le Hezbollah
Mais en même temps, le Hezbollah c’est l’allié de Damas et de Téhéran, et il veut la destruction d’Israël dont les Américains sont aussi les alliés ! Des Américains qui n’ont toujours pas décidé s’ils préfèrent les barbus chiites aux barbus sunnites, la kippa ou la chèche.
Au Liban, la radicalisation des esprits s’amplifie, autant par la faute de l’extrémisme chiite du Hezbollah que par l’incompétence du leadership sunnite dont Michel Sleiman est le symbole, dénonçant d’un côté l’alliance objective qui existe entre l’armée libanaise et le Hezbollah, d’autre part obéissant à l’ordre de ses patrons saoudiens de tripler l’armement de cette même armée avec du matériel français de pointe pour renforcer une armée complaisante à l’égard de la milice chiite et décidée à s’attaquer fermement à la menace islamiste sunnite dont le bastion est à Tripoli au Liban.
L’armée libanais surprise de trouver un drapeau daesh au coeur de Tripoli
Il y a une contradiction évidente, sauf si l’on a compris – ce n’est pas le cas de Hollande et de l’incompétent Fabius – que les Saoudiens ont un objectif qui n’est pas celui qui a été annoncé : donner le moyen à l’armée de fermer la frontière libano-syrienne en application de la résolution 1701 de l’ONU pour empêcher le Hezbollah d’aider Assad.
L’objectif saoudien est contraire : provoquer un conflit entre l’armée et le Hezbollah.
Il sera inévitable si l’armée libanaise empêche le Hezbollah de franchir la frontière pour aider Assad.
Les objectifs saoudiens sont toujours les mêmes : faire main basse sur les richesses pétrolières et gazières syriennes et irakiennes et les gérer avec leurs alliés émiratis, dont le Qatar, ce qui nécessite d’écarter les Etats-Unis du jeu ; bloquer l’Iran ; cerner et neutraliser sans le détruire Israël qui leur est utile comme point de fixation de la haine arabe qui, tant qu’elle est centrée sur Israël, ne se retourne pas contre eux, les arabes richissimes qui ne partagent pas leur colossale fortune avec les arabes les plus pauvres.
Leur plan est donc de modifier au Liban l’équation entre l’armée, la nation et la résistance pour provoquer, dans un premier temps, des affrontements entre l’armée et le Hezbollah, et ensuite, faire basculer l’ensemble du pays dans des troubles et affrontements permanents, ce qui contribuera à réaliser ainsi leurs propres objectifs.
A noter que ce plan a eu l’approbation des Israéliens, car il stabiliserait la frontière Nord d’Israël qui n’aurait plus à faire face à la menace permanente du Hezbollah et de son Armée du Sud Liban. Il a été conçu lors de nombreuses rencontres entre les services de renseignements israéliens et saoudiens, en y associant en fin de course les services français quand il s’est agi de leur faire croire que la décision d’armer l’armée libanaise a pour objectif de stopper les agissements du Hezbollah en Syrie afin d’affaiblir Assad.
Ils savaient que Fabius tomberait dans le piège.
Un autre objectif, suivi dans ce nouveau scénario saoudien est de perturber l’entente entre l’Iran et les Etats-Unis. Même si pour cela il faut sacrifier l’armée libanaise en l’utilisant pour éliminer le Hezbollah au Liban et ainsi mettre un terme à la fragile stabilité au Liban dans laquelle l’armée a joué jusqu’à présent un rôle efficace.
La France est manipulée dans ce jeu de billard à bandes multiples, ce n’est pas Hollande qui s’en rendra compte, et de plus, quand les Etats-Unis comprendront que la France joue les supplétifs des Saoudiens, il pourrait y avoir une brouille entre Etats Unis et France dont les Saoudiens comptent bien profiter.
Maurice D.
L’accord-cadre signé le 4 novembre dernier à Riyad, entre le ministre des finances du royaume saoudien et le PDG d’Odas, société française para-étatique en charge des contrats d’armements français en Arabie saoudite prévoit : des hélicoptères légers d’occasion équipés de missiles antichar HOT, des hélicoptères de transport, trois patrouilleurs rapides, des blindés légers, des missiles anti-aériens de courte portée qui équiperont ces blindés légers ainsi que les patrouilleurs navals, des drones tactiques, des canons et des systèmes de communication, radars et équipements optroniques.
Les Israéliens ont bloqué l’équipement des patrouilleurs de 56 mètres que va livrer le chantier naval CMN, par des missiles anti-navires Exocet, ainsi que les missiles antichars HOT et antiaériens Mistral prévus dans la shopping list libanaise.
Le montant de 3 milliards dont 900 millions pour l’entretien et la formation correspond à plus du double du budget annuel de l’armée libanaise et à titre de comparaison, les États-Unis, premier donateur de l’armée libanaise jusqu’à ce jour, n’ont fourni que pour 850 millions de dollars d’aide militaire depuis 2007.