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LA GRANDE CONFRONTATION ( DENIS CHEYROUZE )

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La grande confrontation

boulevard-voltaire-fourmis

 

 

 
Denis
Cheyrouze

 

Consultant.

Ça faisait près de 2 000 révolutions solaires que les petites fourmis blanches avaient commencé à se civiliser.

Sortant d’un antique polythéisme, elles avaient lentement construit une société plus juste, fondée sur la bonne nouvelle qu’elles étaient toutes filles de La Grande Fourmi De Toujours.

Cette perspective transcendantale changeait tout, jusqu’à l’acte de reproduction lui-même qui devenait une participation à l’acte initial de création : chez les fourmis blanches, on ne se reproduisait plus, on procréait.

Et puis, désormais tous frères et sœurs, cela impliquait qu’on se dût assistance.

Les Reines organisèrent donc la vie commune des petites fourmis blanches dans un sens qui plût à La Grande Fourmi De Toujours.

La récompense fut grande : la société des petits fourmis blanches s’enrichissait intellectuellement, leur art devenait de plus en plus abouti, fin, envié.

Leur système social aussi, qui aidait les plus petites à devenir fortes et les plus anciennes à partager leur savoir, devint un exemple pour le monde.

Ailleurs, d’autres fourmis, vertes celles-ci, restaient dominées par l’ignorance. Elles vénéraient un chef violent, guerrier, jaloux, dont le souvenir les hantait. Des lunes et des lunes après sa mort, elles lui restaient soumises. Elles ne savaient pas qu’elles étaient aussi filles de La Grande Fourmi de Toujours.

Jalouses des richesses spirituelles et matérielles des petites fourmis blanches sans en comprendre l’origine, les fourmis vertes essayèrent de nombreuses fois de s’accaparer la fourmilière blanche.

Mais c’était peine perdue : la fidélité des petites fourmis blanches à La Grande Fourmi De Toujours les protégeait.

Un jour, quelques fourmis blanches partirent au-delà du Grand Lac, à l’ouest. Elles construisirent une nouvelle fourmilière, sous un nouvel oriflamme. Ce fut le début des fourmis bleues.

Les fourmis bleues étaient très travailleuses. Elles construisirent un nouveau type de société, en apparence fidèle à La Grande Fourmi De Toujours, mais dans les faits assez injuste, peu sociale.

Une fois la fourmilière bien établie, les fourmis bleues décidèrent de s’étendre le plus possible, jusqu’à revenir vers leurs terres d’origine. Il y avait là matière à commerce. On pourrait enrichir encore la fourmilière bleue.

Cet enrichissement passait par une étape obligatoire : forcer les petites fourmis blanches à travailler pour presque rien.

Pour ce faire, les fourmis bleues, se souvenant des essais infructueux des fourmis vertes d’envahir les terres blanches, payèrent quelques gardiennes blanches afin qu’elles ouvrent grandes les portes des fourmilières blanches aux petites vertes. Les vertes entrèrent par centaines, puis milliers, puis millions.

Prenant exemple sur leur fondateur, elles dévastèrent tout sur leur passage, détruisant la beauté, agressant la justice, violant la pureté.

Bientôt, les fourmis blanches furent prisonnières de leurs consœurs gardiennes… qui ne gardaient plus rien.

Plus les portes étaient ouvertes, plus la vie des petites fourmis blanches se dégradait et plus les gardiennes s’enrichissaient, grâce à leur partenariat avec les fourmis bleues.

Mais beaucoup trop de petites vertes étaient entrées. Il n’y avait même plus assez de travail pour tout le monde. Les petites vertes étaient coincées là, inutiles, et le savaient. Elles étaient furieuses. Par amour pour leur fourmilière, les petites blanches aussi restaient là, en larmes devant l’état de plus en plus dégradé de la terre dans laquelle leurs ancêtres étaient enterrés.

Influencée par quelques fourmis rouges instrumentalisées par les fourmis bleues, la société devenait de plus en plus violente, matérialiste.

Tout le monde oubliait peu à peu La Grande Fourmi de Toujours. On ne croyait même plus en Son existence.

Un sentiment montait, fort, de plus en plus envahissant : la haine.

Il fallait en finir.

De part et d’autre de la fourmilière, chacun n’attendait plus qu’une seule chose : la Grande Confrontation.

Denis Cheyrouze, le 25 novembre 2012     http://www.bvoltaire.fr/denischeyrouze/la-grande-confrontation,4408

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