Le 19ème sommet du G20 a fermé ses portes dimanche 16 novembre à Brisbane : et, à en croire les médias au matin du 17, l’événement marquant du sommet fut le départ « précipité » de Vladimir Poutine.
Présent lors de ces deux journées, Andreï Kolesnikov, reporter au quotidien Kommersant, entend rétablir la vérité, y compris quant au discours de Barack Obama en Australie, selon lui mal interprété par les médias russes.
Poutine au coin… de la photo
La photographie de groupe samedi était le moment le plus attendu du sommet : face à une centaine de journalistes, le Premier ministre australien Tony Abbott et Vladimir Poutine devaient se serrer la main. Et tout le monde avait en mémoire la petite phrase du chef du gouvernement d’Australie, qui avait promis mi-octobre de shirtfront Mr Putin – en français, « rentrer dans la poitrine » du président russe.
Pourtant, c’est avec cordialité, semble-t-il, que M. Abbott a accueilli M. Poutine : plus qu’un simple salut, il a discuté chaleureusement avec son invité, main posée sur le cœur [vidéo ci-dessous]. De quoi faire rire les journalistes occidentaux, et plus particulièrement les Australiens : « C’est sûrement cela qu’on appelle rentrer dans la poitrine », s’est moqué l’un d’eux.
Le président russe, lui, n’avait pas vraiment l’air de s’amuser quand on lui a précisé la place qu’il devait prendre sur la photographie : ignorant les instructions, il s’est d’abord placé au centre – comme à son habitude et de la même façon qu’au sommet de l’APEC, quelques jours plus tôt, où il s’était tenu à la droite du président chinois. Seulement, le coordinateur l’a invité à reprendre la place qu’on lui avait désignée : au bout du premier rang et à la gauche du président sud-africain Jacob Zuma, qui lui a fait un large sourire. Vladimir Vladimirovitch, comprenant de quoi il retournait, a finalement laissé paraître un certain amusement.
De la route à faire
Une fois n’est pas coutume – M. Poutine a quitté le sommet le premier, faisant une croix sur le déjeuner de travail commun de la dernière journée. Son attaché de presse a expliqué cette décision par l’emploi du temps très chargé du président lundi, à Moscou. Mais les médias australiens y ont vu un tout autre motif, n’hésitant pas à écrire que le président russe quittait le sommet du G20 « à cause des pressions sur la crise en Ukraine ».
Que croire ? Certes, l’Ukraine était au centre des discussions et oui – Vladimir Poutine en avait assez du G20. Le président russe ne l’a d’ailleurs pas caché au moment de sa dernière conférence de presse face aux journalistes russes.
« Nos hôtes ont su créer une atmosphère conviviale », a-t-il entamé. Si le protocole diplomatique ne permet pas de dire le contraire, l’intonation du président avait quelque chose d’ironique. Et l’épisode de la photographie a suffi à le prouver.
Vladimir Poutine a poursuivi dans sa lancée, revenant sur la décision de créer un « hub » mondial [Global Infrastructure Hub, visant à faciliter la coopération entre les investisseurs et les décideurs, ndt] et sur les discussions autour de la lutte contre l’évasion fiscale et l’optimisation renforcée. « Sur ce dernier point, nous, en Russie, nous ne faisons pas que parler. Nous agissons, et ce, au moment même où je m’exprime face à vous (il était 6h à Moscou) », a-t-il affirmé, avant d’enchaîner sur le thème des épidémies.
« Une discussion va avoir lieu maintenant, pendant le repas…, puis, après une courte pause : Enfin, entre mes collègues. Concernant les maladies graves, comme Ebola. »
C’est là que j’ai compris pourquoi le président ne comptait pas rester : parler du traitement d’Ebola à table, c’est quand même le summum du cynisme.
Je plaisante, la raison est encore ailleurs.
Vladimir Poutine a signalé qu’il venait d’envoyer en Guinée des spécialistes, dans un avion-hôpital équipé de 200 lits. En somme, le président a fait comme s’il avait participé au repas.
Quant aux sanctions, M. Poutine a simplement admis que le thème avait été évoqué, mais « sans plus ». Il a de même passé très rapidement en revue la chute du prix du pétrole qui, selon lui, n’affecterait pas le budget russe : « Après la décision de la Banque centrale de laisser le rouble évoluer librement [le 10 novembre, ndt], les ressources en roubles ont même augmenté », a-t-il affirmé.
Le président russe s’est davantage étendu sur le sujet de la crise ukrainienne. « Les discussions ont surtout tourné autour de l’Ukraine… Cela a été utile à tous.
J’ai entendu parler dans les médias du décret visant à instaurer une sorte de blocus économique sur les régions de Donetsk et Lougansk [les autorités ukrainiennes ont décidé samedi 15 novembre de fermer tous les services publics dans les régions de l'Est, ndt]. Je pense qu’il s’agit d’une grave erreur. Les Ukrainiens se coupent eux-mêmes de ces régions ! Pourquoi ? », a-t-il questionné, sous-entendant une fois de plus que Donetsk et Lougansk n’avaient pas vocation à être russes.
« Même lors des plus fortes tensions de la guerre en Tchétchénie, a-t-il martelé, nous n’avons jamais cessé de financer la république tchétchène. Alors même que cela semblait un peu idiot… Mais au bout du compte, c’était la chose à faire : la population a apprécié notre soutien. »
Enfin, le président a expliqué son départ prématuré de Brisbane : « Pourquoi ne suis-je pas allé au déjeuner ? Il me faut neuf heures pour rejoindre Vladivostok, puis neuf heures de plus pour rejoindre Moscou, et lundi, j’ai du travail. J’ai tout de même besoin de dormir quatre-cinq heures. J’avais prévenu Abbott, qui a très bien compris la situation », a-t-il affirmé, précisant au passage que ce dernier lui avait fait une « très bonne impression ».
Ainsi, son départ n’a pas été aussi soudain que ce que l’on a voulu laisser croire. Dès samedi matin, j’avais moi-même appris que le président russe repartirait deux heures avant la fin du sommet (deux petites heures !), puisque le départ des journalistes l’accompagnant avait également été avancé. À ce moment là, ni le sommet, ni aucune autre rencontre n’avaient eu lieu, et Vladimir Poutine n’avait donc pas de quoi être offensé – même par la photographie, mais c’est une autre histoire.
Sur le discours d’Obama
Le 15 novembre, Barack Obama était l’invité de l’Université du Queensland, à Brisbane, où il a tenu une conférence devant une salle pleine à craquer.« Bonjour Brisbane ! Je suis si heureux d’être de nouveau en Australie !, a-t-il déclaré d’entrée de jeu, installé confortablement derrière le pupitre. J’aime profondément l’Australie. Le problème, c’est que, chaque fois que j’y viens, je suis contraint de rester enfermé dans des salles de conférence au lieu d’aller à la plage ! »
La plaisanterie, bien entendu préparée d’avance, a fait son effet : toute la salle, bon enfant, a éclaté de rire. Il faut dire que le public était majoritairement composé d’étudiants et de journalistes, ces derniers étant, à leur manière, également de grands enfants.
Plus généralement, le discours du président américain a dû faire sourire à Moscou, notamment ce passage, très beau et hypnotisant : « Nous croyons aux marchés ouverts et au libre et honnête échange – un terrain où les économies jouent selon les mêmes règles et où le but du commerce n’est pas seulement d’extraire des ressources, mais de construire un vrai partenariat.
Un espace où ces valeurs permettent d’améliorer le niveau de vie dans les pays pauvres, où les PME et entreprises innovantes sont libres de penser, de créer et de rayonner. Le succès d’un pays à réaliser un tel environnement dépend de ses efforts à soutenir chacun de ses citoyens. (…) Nous croyons à la démocratie. Et quand nos amis ont besoin d’aide, les États-Unis sont toujours là. (…) En tant que seule superpuissance de ce monde, les USA ont une responsabilité particulière qu’ils assument avec plaisir. »
La suite du discours du président américain a été mal traduite dans les médias russes : « Nous présidons la communauté internationale dans la lutte contre Ebola et contre l’agression russe en Ukraine, qui menace le monde entier, comme nous en avons été les témoins avec le crash du Boeing de la Malaysia Airlines. » Moscou a alors été prise d’une légère panique, de nombreux experts y voyant l’anéantissement des espoirs nés lors du sommet de l’APEC, à Pékin, entre les dirigeants russe et américain.
Alors que les propos d’Obama étaient en réalité sensiblement différents. « Nous conduisons une coalition internationale contre le groupuscule terroriste État islamique. Nous jouons un rôle majeur dans la lutte contre le virus Ebola en Afrique de l’Ouest et contre l’agression russe en Ukraine, qui demeure une menace pour le monde entier, comme l’a montré l’abattage sans pitié du MH17. Le président a alors fait une pause. Une tragédie qui a coûté la vie à tant de gens, dont certains de vos concitoyens. »
Ainsi, la menace islamiste était placée en première position. La « menace russe en Ukraine » peut aussi désigner le rattachement de la Crimée à la Russie et « le Boeing abattu sans pitié » a été évoqué de manière très évasive. Soit une erreur dans l’ordre des priorités évoquées par les médias russes lors de ce sommet.
vu sur : http://www.lecourrierderussie.com/2014/11/poutine-brisbane/?utm_source=Le%20Courrier%20de%20Russie%20-%20Newsletter&utm_campaign=ac0f050698-Newsletter11_19_2014&utm_medium=email&utm_term=0_76a16a0a15-ac0f050698-167605677