Syrie-Irak : les drôles d'alliés de l'Occident
Le Point - Publié le 13/10/2014 à 07:32
Des Kurdes du PKK, classé terroriste par l'UE, des États du Golfe sponsorisant les djihadistes... : la coalition anti-groupe EI est un attelage bizarre.
L'armée turque, à la frontière avec la Syrie.© Lefteris Pitarakis/AP/SIPA
D'un côté, les bons, de l'autre, les méchants. Telle est la vision binaire et simpliste que l'on tente d'accréditer à propos de la guerre contre "l'État islamique", Daesh, si l'on préfère l'acronyme arabe.
Problème : dans ce sanglant chaos, il n'y a guère que des méchants, comme le fait justement observer Jean-Christophe Ruffin, ex-humanitaire, écrivain et ancien ambassadeur.
Prenez les Kurdes qui se battent à Kobané, située en Syrie, sur la frontière turque. Il s'agit de militants de l'YPG (Unités de protection du peuple), filiale du PKK (Parti du peuple du Kurdistan).
Le PKK figure sur la liste des mouvements terroristes de l'Union européenne. Assassinats, attentats aveugles, liquidation des "déviationnistes", racket systématique des commerçants kurdes installés à l'étranger, notamment en France : le PKK ne fait pas dans la dentelle.
Son chef, Abdullah Öcalan, dit "Apo", actuellement détenu en Turquie, se réclame d'une idéologie marxiste-nationaliste. Manifestement mégalomane, il impose à ses troupes un culte de la personnalité pathologique. Convaincu que son épouse était une espionne turque, il recommande désormais la chasteté à ses combattants.
Modèle tribal
En prison, ce glorieux défenseur de la démocratie a officiellement renoncé au terrorisme et entamé des négociations avec la Turquie. Mais il a longtemps été protégé par Hafez el-Assad, le père de Bachar. Dans les années quatre-vingt, Öcalan, également aidé par l'URSS, avait trouvé refuge dans la plaine de la Bekaa, au Liban, alors contrôlée par les Syriens. Assad instrumentalisait le PKK contre la Turquie, éternelle ennemie.
Notons aussi que, dans l'histoire, les Kurdes n'ont pas toujours été du côté des victimes. Les montagnards kurdes, alors sujets de l'Empire ottoman, ont largement contribué au massacre des Arméniens en 1915.
Bien évidemment, les populations kurdes actuelles ne sont pas responsables du comportement de leurs aïeux. Le Kurdistan irakien est un îlot prospère sous l'égide du clan Barzani. Mais il est gouverné selon un modèle tribal quasi féodal avec mise en coupe réglée des richesses du pays.
La politique néo-ottomane d'Ankara
Autres alliés de l'Occident dans la croisade contre le mal : les États du Golfe, notamment l'Arabie saoudite. Idéologiquement, le wahhabisme est la matrice de l'islamisme politique contemporain. La dynastie saoudienne est née au XVIIIe siècle d'un pacte entre un prédicateur religieux, Mohamed Ben Abdelwahab, et un chef de guerre, Mohamed al-Saoud. L'alliance du sabre et du goupillon. Abdelwahab est une sorte de Luther musulman qui prône un retour aux sources de l'islam et une lecture très rigoriste du Coran. Le wahhabisme a irrigué les courants les plus radicaux de l'islam politique.
Si le gouvernement saoudien se méfie de ces nouveaux sicaires, certains princes et parfois les services spéciaux du royaume ont apporté une aide plus ou moins directe aux mouvements les plus intégristes. Et les autorités de Riyad, impuissantes ou complices, ont fermé les yeux.
Quant au Qatar, il est très proche des Frères musulmans, bête noire des Saoudiens.
La Turquie, elle, soutient la coalition comme la corde soutient le pendu. Elle a laissé transiter sur son sol, en toute connaissance, les recrues de Daesh. Le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan applique une politique néo-ottomane avec une obsession : éviter un Kurdistan indépendant et, si possible, prendre des gages en Syrie. La proposition d'une "zone tampon" contrôlée par l'armée turque à l'intérieur du territoire syrien va dans ce sens. Si un modus vivendi a été trouvé avec le Kurdistan irakien, le PKK reste l'ennemi.
Que ses combattants se fassent écraser à Kobané ne fera pas verser beaucoup de larmes à Ankara.
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