Entretien avec Alain de Benoist
L’islamisme radical est à la fois en crise et en expansion…
Entretien réalisé par Nicolas Gauthier.
Vous qui êtes notoirement attaché au sens des mots, comment résumer ce qu’on nomme « islamisme », comme si l’islam était la seule foi à mélanger religion et politique ?
Le mot peut recevoir plusieurs définitions. Aujourd’hui, il se rapporte le plus souvent à ceux des musulmans sunnites qui considèrent que tout problème politique appelle une réponse religieuse ou qui poursuivent des buts politiques sous habillage religieux. Cet islamisme est né d’une réaction à la modernité occidentale ayant touché le monde musulman via la colonisation. Il se partage entre un islamisme de prédication, un islamisme réformiste et politique (les Frères musulmans, fondés en 1928) et un islamisme violent, littéraliste et néo-fondamentaliste, d’inspiration wahhabite ou salafiste, aujourd’hui largement déterritorialisé, dont le principal inspirateur fut l’Égyptien Saïd Qotb (1906-1966).
Cet islamisme radical, médiatiquement privilégié par l’Occident, est aujourd’hui à la fois en crise (il ne parvient à proposer aucun projet de société viable) et en expansion, comme en témoigne la surenchère de violence à laquelle se livrent actuellement les fanatiques de l’État islamique dans le nord de l’Irak.
Dans cette expansion, les États-Unis portent une responsabilité historique de premier plan. Dès l’époque de la guerre froide, ils se sont systématiquement employés à privilégier les islamistes contre les nationalismes arabes laïcs, suspectés d’être inféodés à Moscou.
Quand l’URSS a envahi l’Afghanistan, en 1979, ils ont soutenu et armé les ancêtres d’Al-Qaïda. L’arrivée au pouvoir des néo-conservateurs est ensuite allée de pair avec l’adoption d’un plan visant à balkaniser le Proche-Orient selon des clivages ethno-religieux, ce qui a abouti à l’élimination de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi (2011), puis à l’offensive contre Bachar el-Assad. Les Israéliens, de leur côté, ont commencé par favoriser le Hamas contre Yasser Arafat (vous remarquerez que les prédicateurs takfiris appellent les djihadistes à combattre en Irak, en Syrie ou en Afghanistan, mais jamais en Palestine).
Aujourd’hui, les Américains se retrouvent en Irak face à des djihadistes qu’ils soutiennent en Syrie, alliés de fait d’une puissance iranienne qu’ils dénonçaient hier encore comme le grand Satan.
Cela suffit à montrer le caractère incohérent de leur politique.
Certains prétendent qu’il n’y a aucune différence entre l’islam et « l’islamisme », ceux qui affirment le contraire se faisant régulièrement injurier, ici comme ailleurs, par des internautes notoirement énervés. Qu’en pensez-vous ?
Qu’ils aillent expliquer cela aux djihadistes de l’État islamique, qui passent l’essentiel de leur temps à massacrer des musulmans !
Ce sont les mêmes qui nous expliquaient en 1935 que Staline et Trotski étaient en fait tout à fait d’accord ou, en 1968, que la querelle sino-soviétique n’était que de la « poudre aux yeux ».
Aujourd’hui, ils croient que l’Iran est un pays arabe, que la majorité des musulmans dans le monde sont des Arabes, et sans doute aussi que Hanifi, Hanbali et Maliki sont des noms de pâtisseries orientales. Je sais bien que moins on connaît un sujet, plus on a tendance à simplifier.
Mais il y a un moment où le simplisme n’est plus que le paravent de l’indigence mentale. Pour ma part, avec les imbéciles, il y a longtemps que je m’en tiens à la règle NPDCP (ne pas discuter, ça prolonge).
J’ajouterai que je n’ai jamais entendu autant de critiques de l’islamisme qu’au cours d’un récent séjour en Algérie, pour ne rien dire d’un séjour plus récent encore en Azerbaïdjan.
Quant à ceux qui se déclarent en « guerre totale contre l’islam », soit au total 1,6 milliard d’individus, je salue leur belle énergie et leur souhaite bonne chance !
Source: lu sur Bd VOLTAIRE