Irak / Le califat ravage le patrimoine de la Mésopotamie!
«La sagesse est-elle encore dans l’homme ?»
L’Irak, entre Tigre et Euphrate, ancienne Mésopotamie, berceau de civilisations, compte son histoire en millénaires.
Les nombreux peuples qui s’y sont installés ont puisé aux mêmes racines culturelles.
A la tête de vastes constructions politiques, les souverains, qu’ils soient assyriens, babyloniens, perses, régnaient d’abord sur des peuples en respectant leurs diversités, leurs croyances et leurs coutumes.
Dans les religions polythéistes, les dieux des vainqueurs étant par le sort des armes reconnus par tous supérieurs aux dieux des vaincus, point n’était besoin de détruire systématiquement leurs sanctuaires.
Les guerres, affaires d’hommes et non de Dieux.
Au contraire, les statues des dieux vaincus étaient emportées dans la capitale du royaume vainqueur et placées dans des temples, manifestant par leur présence, aux yeux de tous, la victoire remportée et facilitant l’acculturation. Les tributs et les impôts étant proportionnels à la richesse de chacun des peuples soumis, le souverain avait tout intérêt à ce que, à l’intérieur de son royaume, chacun puisse vivre en harmonie. Les guerres, affaires d’hommes et non de dieux, étaient surtout motivées par l’accès à l’eau et aux hydrocarbures, notamment le bitume, utilisé à l’époque, entre autres, pour imperméabiliser les canaux d’irrigation et les bateaux, nécessaires à la prospérité agricole et commerciale, principales richesses.
Dans cette région argileuse et dépourvue de forêts, les bois de charpente et les pierres nécessaires aux constructions de prestige étant rares, les monuments, sauf exception, étaient préservés au maximum quitte à les réutiliser en les modifiant. Détruire pour détruire n’était pas à l’ordre du jour.
Mosaïques de peuples
Si, au fil du temps, les croyances se sont diversifiées et ont évolué, cette terre a su accueillir les uns et les autres. Ainsi, sur un temple voué au dieu Assur s’est élevée une église et sur une tombe du VIIIe siècle avant Jésus-Christ s’est édifiée une mosquée. Cette mosaïque de peuples aux religions différentes, qui a longtemps fait la spécificité et la richesse de cette région, est aujourd’hui remise en question.
L’Etat islamique qui s’est créé dans le nord de la Syrie, bloqué vers l’ouest par la mer Méditerranée, a décidé de s’étendre vers l’Est. Il a ainsi pris position dans le nord de l’Irak. Il détient, sur le Tigre, les barrages en amont de Mossoul, l’antique Ninive, capitale de l’empire assyrien aux jardins luxuriants. Il est ainsi maître de l’accès à l’eau et à l’électricité pour toutes les villes situées en aval. Il se dirige vers Erbil, l’ancienne Arbèles, célèbre pour la bataille entre Alexandre le Grand et Darius, région riche en hydrocarbures suscitant convoitises et réactions. Mais il ne s’agit plus de régner sur des peuples divers et variés. Avec les progrès techniques, la richesse n’est plus dans les bras des hommes. (1)
A l’intérieur de ce territoire, comme Dieu a créé le monde, un cadre matériel est mis en place. Certes, dans toute guerre, il y a des destructions. Celles-ci peuvent être collatérales comme en Syrie, elles sont ici volontaires. Les monuments sont ciblés en tant que tels et pour ce qu’ils représentent. C’est sur une table rase qu’est rebâti un monde nouveau.
Mosquée dynamitée
Point n’est alors besoin de ce qui fait l’identité d’une ville comme le minaret Al-Hadba à Mossoul, aussi célèbre en Orient et pour les mêmes raisons que la tour de Pise (Italie) en Occident, sauvé de justesse par une chaîne humaine. Point n’est besoin non plus du renom d’un sanctuaire. Ainsi a été dynamitée la mosquée qui s’élevait sur la tombe de Jonas. Les prières doivent être consacrées à Dieu et non à un homme, fût-il un prophète ! (2)
Jonas est pourtant celui qui acquiert discernement et raison après avoir été avalé par un poisson, symbole de la sagesse en Orient ancien. Le Coran lui consacre la dixième sourate. Bien avant, dans la religion chrétienne, il préfigure le Christ, et dans l’Eglise assyro-chaldéenne, dont les rites sont plus anciens que ceux de l’Eglise de Rome, son nom, lié à la repentance humaine et au pardon divin, est l’objet de l’une des plus grandes fêtes. Les destructions ne sont pas seulement matérielles, elles sont lourdes de sens !
Après la création du monde vient la création de l’homme. Le nouvel Etat entreprend de vider le territoire de la population qui ne correspond pas à l’image qu’il a lui-même dessinée. Les prises de Mossoul et de Karakoch poussent, entre autres, les chrétiens à se réfugier dans le Kurdistan autonome, où ils s’entassent dans l’église Saint-Joseph.
Villes cosmopolites
Sous un soleil ardent, avec des températures dépassant les 40 oC, les yézidis fuient dans les montagnes dénudées du Sinjar, espérant ainsi échapper au massacre. Présentés par ceux qui les pourchassent comme adorateurs du diable, leur croyance prend ses racines dans l’Empire perse bien avant l’apparition du christianisme et plus encore de l’islam. (3)
Dieu, avant de créer la Terre et l’Homme, aurait créé sept anges dirigés par son envoyé, porteur de lumière, que certains assimilent à Lucifer (en latin lux signifie « lumière » et ferre « porter »). Pour eux, le bien et le mal existent en chaque homme, à ce dernier de choisir entre les deux. Cette liberté, et plus généralement la liberté de conscience, est incompatible avec un pouvoir religieux coercitif quel qu’il soit. Il en va de même pour toutes les minorités religieuses qui se trouvent dans des contextes similaires.
Installé en Mésopotamie, l’Etat islamique en Irak et au Levant est devenu un califat, son chef reprenant ainsi le titre porté par les successeurs de Mahomet. De successeur, il prétend en devenir la voix, et par-delà celle de Dieu. Comme ses prédécesseurs, il exerce son pouvoir sur ces étendues désertiques à l’intérieur de chacune des villes qu’il a conquises, jour après jour. Mais quelle différence avec la Bagdad du calife Haroun Al-Rachid (763-809) ou le Constantinople (Istanbul) de Soliman le Magnifique (1494-1566), padicha de l’islam, c’est-à-dire « commandeur des croyants », allié du très chrétien roi de France François Ier, ces villes cosmopolites, à l’économie prospère, aux mille et une richesses, au foisonnement intellectuel et à l’avant-garde artistique.
Jonas, la sagesse est-elle encore dans l’homme ?
Véronique Grandpierre
(Historienne, spécialiste de la Mésopotamie)
Véronique Grandpierre, docteur en histoire ancienne, est membre du laboratoire de recherche Identités, cultures, territoires de l’université Paris-Diderot et auteure d’Histoire de là Mésopotamie (Gallimard «Folio», 2010).
Notes :
(1) Voir la vidéo : Comprendre la montée en puissance de l’Etat islamique en cinq minutes
(2) Lire aussi : En Irak, les djihadistes justifient la destruction des sites de Mossoul pour des raisons religieuses
(3) Lire le décryptage : Qui sont les yézidis, cible des djihadistes en Irak ?
Voir aussi :
Archéologie / Babylone ravagée par la guerre et les militaires américains !