Lumière sur les services secrets
Par Jean-Marc BastièreMis à jour le 16/11/2012 à 15:18 | publié le 16/11/2012 à 10:29
L'histoire des services secrets français actuels trouve son origine dans les année 1930 et la lutte contre l'Allemagne nazie.
Du SDECE à la DGSE, le monde du renseignement apparaît mystérieux. Un groupe d'historiens lève un coin du voile, en mettant au jour les liaisons dangereuses entre services secrets et hommes politiques.
Si la France avait éliminé Hitler, aurait-on évité la Seconde Guerre mondiale et ses 60 millions de morts?
À l'été 1937, le commandant Paillole, chef de la section allemande du contre-espionnage français, s'adresse ainsi à Edouard Daladier: «Monsieur le Ministre, s'offre à nous une opportunité qui ne se représentera sans doute jamais, nous débarrasser d'Hitler!»
Un Français, tireur d'élite, habite à Berlin dans un immeuble qui fait face à une caserne où le chancelier du Reich se rend une fois par mois.
La réponse fuse, sans appel: «On n'assassine pas le chef d'Etat d'un pays voisin!»
Trois ans plus tard, en mars 1940, les services spéciaux acquièrent la conviction que la Wehrmacht se prépare à contourner la ligne Maginot.
Mais les hautes sphères de l'armée, campées sur leurs certitudes, font la sourde oreille.
Ces épisodes, relatés dans le livre de trois spécialistes des services spéciaux, Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer, illustrent les difficiles - et parfois dommageables - relations, en France , entre les politiques et la «Piscine».
Très documenté, l'ouvrage regorge d'histoires incroyables, souvent rocambolesques, dont certaines sont inédites.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les services de renseignement militaire ont permis au général de Gaulle d'imposer sa place auprès des Alliés, d'organiser la résistance intérieure et de préparer son retour en France.
Pourtant, suite à l'affaire Howard - une sombre manipulation, manigancée par les services anglais, visant à torpiller la France libre naissante -, de Gaulle nourrira une aversion tenace pour les Britanniques en général, et les services secrets en particulier.
En 1946, le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, le SDECE, naît officiellement.
Ses figures tutélaires sont des hommes politiques socialistes. L'affrontement avec le bloc de l'Est devient vite la priorité.
Puis ce sont les conflits de décolonisation qui polarisent l'attention, avec l'Indochine, mais surtout l'Algérie.
La Piscine mènera une guerre clandestine contre le FLN. Par la suite, certaines complaisances avec l'OAS pousseront de Gaulle à sévir.
Il s'ensuivra des dysfonctionnements, sans doute pas étrangers au scandale de l'affaire Ben Barka, ce leader de l'opposition marocaine qui fut enlevé en plein Paris, devant la brasserie Lipp, avec la complicité de membres de rang peu élevé de la police et des services secrets. «Vulgaire et subalterne», tranchera de Gaulle, avec mépris et colère.
Nouvelle réorganisation de la «pétaudière».
Laquelle n'empêche pas, en 1968, un autre scandale: des photos truquées concernant Claude Pompidou visent son mari, qui ne se cache pas de vouloir être candidat à l'Elysée.
Des membres du SDECE sont impliqués. Une fois élu, en 1969, Georges Pompidou s'emploie à nettoyer les écuries d'Augias: il nomme Alexandre de Marenches, lequel entame une grande lessive.
Les succès de ces services restent inconnus
Plus atlantiste que ses prédécesseurs, le surnommé Porthos rencontre souvent les directeurs de la CIA et même les présidents américains.
Son obsession: la lutte du monde libre contre l'Empire soviétique. Marenches étoffe aussi ses services en Asie: il pressent que l'axe du monde va basculer vers l'Empire du Milieu.
Dès les années 1950, les services secrets participent aussi à la défense du pré carré africain, la Françafrique, avec les réseaux Foccart, où l'on aperçoit l'aventurier Bob Denard.
En apportant un soutien à la société Elf, les services spéciaux permettent à la France de sécuriser une partie de son approvisionnement énergétique.
Avec l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand et des socialistes, les têtes tombent à nouveau, et Marenches claque la porte.
Mais la raison d'Etat l'emporte. Avec l'affaire Farewell, du nom d'une source soviétique qui livre des informations capitales, Mitterrand, pourtant flanqué de quatre ministres communistes, s'attire les bonnes grâces de Ronald Reagan.
Seulement, sur ce coup-là, la DST (sécurité intérieure) double le SDECE! Patatras, énième refondation, avec la naissance, en 1982, de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure).
Nouveaux temps, nouvelles priorités. Une cellule antiterroriste voit le jour, et la guerre économique s'accentue. Jacques Chirac, qui se méfie lui aussi des services secrets, feint de ne pas s'y intéresser. Dans la réalité, il en va autrement. Ce sont les images du satellite Hélios qui le convainquent, en 2003, de l'inexistence d'une menace nucléaire venant d'Irak.
Elu en 2007, le nouveau président Sarkozy ne nourrit aucun complexe à l'égard des services spéciaux: il les conduit «rênes courtes» et entame une rafale de réformes.
Sa priorité: les affaires d'otages et le terrorisme. Le cas échéant, il n'hésite pas à utiliser la force.«Les services secrets français sont-ils nuls?», pose crûment la question Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement .
Michel Rocard, qui préface son livre, affirme que la France, depuis très longtemps, est «inculte en la matière».
Pourtant, nuance l'auteur, il est difficile de se faire une idée objective, tant ce domaine, opaque par nature, suscite de fantasmes.
Et si les ratés, eux, sont retentissants, comme l'affaire Greenpeace (1985), les vrais succès sont, par définition, inconnus du grand public.
Si les politiques se montrent souvent soupçonneux à l'égard de la Piscine, celle-là, malgré bavures et déficiences, n'en imposa pas moins sa nécessité vitale pour le pays.
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Source et publication: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/11/16/01016-20121116ARTFIG00386-lumiere-sur-les-services-secrets.php?m_i=5q65DFbGHeN5FvnYX7mIrAII9gIZmvLVVJzFtTMfCS8OZMF52