Patrick Montauzier : l’homme qui a fait sauter Versailles
BREIZATAO – MENSUEL DE RENNES (25/08/2014)
Dernier opus de notre série estivale d’anciens portraits du Mensuel, retrouvez cette semaine celui de Patrick Montauzier. Figure ténébreuse de l’indépendantisme breton, condamné à quinze ans de prison puis gracié par Mitterrand, le Rennais a participé à une trentaine d’attentats contre les symboles de l’Etat français.
Près du canapé veille une statue de Nominoë de bois. Epée à la main, allure guerrière, œil vif, le « Tad ar vro » (« Père de la patrie »), premier souverain de Bretagne au IXe siècle, symbole de la résistance face aux Francs, jouxte une croix celtique posée au mur. Nous ne sommes pas dans un musée du nationalisme breton, mais dans un modeste appartement du Blosne, à Rennes.
Patrick Montauzier reçoit ici, chez lui, en jeans et chaussons. Sans fioriture, comme l’homme du peuple qu’il prétend incarner.
De fait, Montauzier est un « prolo », un vrai, fier de sa basse extraction. Signes distinctifs : un épais bouc poivre et sel et, surtout, des yeux bruns perçants, composante majeure d’un regard d’acier.
Avant que l’on ne pénètre dans le vif du sujet (sa vie, son œuvre), Patrick Montauzier évoque l’évolution du quartier, déplore l’« insécurité » et les « incivilités » qui « gangrènent », selon lui, le Blosne. En cause : l’« immigration ».
Certains glosent sur le temps qu’il fera demain, lui embraye sans préliminaire sur la « déculturation » et l’« islamisation » en Bretagne. Voilà qui annonce la couleur. On n’en attendait pas moins. Extrémiste de droite ras du front, Montauzier ? Ce serait trop simple.
Cette figure du nationalisme breton, ex-artificier clandestin reconverti en créateur de partis indépendantistes, recèle des ambiguïtés à l’image de son parcours : sinueux.
« Dangereux terroriste »
1979. Dans la nuit du 25 au 26 juin, ça pète au château de Versailles. Un pain de plastic explose dans la galerie des Batailles.
Premier attentat jamais commis dans l’antre du Roi Soleil. Plusieurs dizaines de mètres carrés sont ratiboisés. Des tableaux en lambeaux jonchent le sol, côtoyant des menuiseries arrachées et des plâtres en miettes. Branle-bas et indignation dans la France de Giscard. « Manifestement, l’auteur est un fou, s’indigne Hubert Landais, directeur des musées de France, au JT de 20 h de TF1*.
S’attaquer à des richesses nationales est sûrement un signe de déséquilibre. »
Le « fou » en question s’appelle Patrick Montauzier, alias Colonel Armand, membre du Front de libération de la Bretagne (FLB).
Accompagné d’un camarade, il a déposé la bombe la veille, en plein jour, avec un réveil électronique en guise de minuterie.
A leur retour à Rennes, ils ont scotché un message de revendication signé FLB sur une borne téléphonique de la rocade. Problème : les deux compères apparaissent depuis longtemps sur les écrans radars des services de renseignement.« On savait qu’on était surveillés depuis plus de six mois, affirme aujourd’hui Montauzier. Avant de me mettre au vert, je voulais faire un attentat spectaculaire. » Objectif atteint.
Ce coup d’éclat lui confère le respect ad vitam aeternam de certains nationalistes bretons. Montauzier est « l’homme qui a fait sauter Versailles ». « C’est quelqu’un d’écouté, grâce à son passé et à son autorité personnelle, affirme aujourd’hui un proche. Sa légitimité dure dans le temps. »
Une « légitimité » acquise au prix d’un passage par la case prison.
Deux jours après l’explosion, la police le cueille chez lui, à Rennes. Il est considéré comme « dangereux terroriste ». « J’ai fait six jours de garde à vue, soit 144 h. Je n’ai avoué qu’à partir de la cinquième nuit. On nous interrogeait tout le temps, sans nous laisser dormir. Au bout d’un moment, t’es acculé ! Mais on savait où on mettait les pieds. Je n’ai jamais pleuré sur les conditions de garde à vue. Faut assumer ses actes. »
Au terme de son procès, il écope de quinze ans ferme. La justice lui attribue plus de vingt attentats. A cette époque, déjà, la République blaguait peu avec les poseurs de bombes, furent-ils buveurs de chouchen.
« Ils nous en voulaient pour Versailles ! J’ai fait onze mois à l’isolement dans une cellule sans fenêtre, entravé au pied, avec une tenue pénitentiaire alors qu’elle est interdite pour les prisonniers politiques. J’ai eu droit à des transferts très mouvementés avec feu dans le fourgon, coups de matraque et de boucliers et une entrée remarquée à Fresnes. »**
En prison, le soldat Montauzier plie mais ne rompt pas. Son « amour » pour la Bretagne s’affirme, sa colère contre la France, Etat « colonisateur », s’aiguise. Il lit « beaucoup » et approfondit des convictions nationalistes forgées depuis l’adolescence.
Double vie
Dans les années 1960, le jeune Montauzier, fils d’un ouvrier de l’Arsenal (également haut gradé de la CGT d’Ille-et-Vilaine) et d’une mère au foyer, entend le présentateur Charles Ar Gall parler breton sur l’ORTF. Déclic. « Je me suis dit qu’il existait une autre langue. Ensuite, j’ai lu l’Histoire de la Bretagne de l’abbé Poisson***. J’ai découvert un pays que je ne soupçonnais pas. » Un militant s’éveille.
En bon rejeton de syndicaliste, Patrick Montauzier s’engage aux Jeunesses communistes (JC).
Il guette en parallèle les premiers attentats du Front de libération de la Bretagne (FLB). Il « divorce » avec les JC fin 1967 et flirte un moment avec la gauche maoïste révolutionnaire. Lycéen en 1968 à Rennes, il participe aux défilés de mai « sous les Gwenn ha du ».
Au début des années 70, il adhère au parti nationaliste et fédéraliste breton Strollad ar vro et, brièvement, au Parti communiste breton (PCB). Puis viennent les « années de poudre ».
A partir de 1974-1975, des explosions retentissent presque tous les mois dans les quatre départements bretons. Généralement revendiqués par le FLB ou par une de ses composantes (Armée révolutionnaire bretonne et Armée républicaine bretonne), les attentats visent des symboles étatiques français. Les auteurs exigent l’indépendance de la Bretagne.
Tout cela fascine davantage Patrick Montauzier que les palabres des groupuscules maoïstes.
Sa fibre « Breizh » vibre à plein tube.
« On s’est dit qu’il fallait passer à l’action. On a voulu créer notre groupe FLB en Ille-et-Vilaine. » Boites aux lettres mortes, recrutements clandestins, réunions secrètes… A peine trentenaire, Patrick Montauzier mène une double vie : chauffeur-livreur le jour, « terroriste » la nuit.
« Le premier attentat, ça a été un événement. Il a fallu apprendre à voler des explosifs dans les carrières et à les manier en veillant à ne pas faire n’importe quoi. » L’artificier fait son nid. Il devient maître en l’art du vol d’explosifs et effectue ou supervise « une bonne trentaine » d’attaques. Dégâts matériels uniquement. « Il y avait un objectif derrière chaque attentat, justifie-t-il. On visait l’Etat colonial français, à travers notamment les impôts et les gendarmeries. A un moment, on s’est demandé si on n’allait pas lasser les Bretons et on a décidé de passer à la vitesse supérieure. »
Le militant clandestin veut « taper fort ». Il déclenche en 1979 l’opération « Versailles »… avec le résultat que l’on sait.
Evolution idéologique
L’artificier ne croupit pas derrière les barreaux, malgré sa lourde condamnation. En 1981, le président Mitterrand, fraîchement élu, opère « un grand ménage » dans les geôles françaises. Le pouvoir libère des prisonniers politiques dans une optique de « réconciliation nationale ». Patrick Montauzier est gracié. Retour à Rennes et aux affaires. La poudre en moins.
A partir de cette date, Montauzier entame sa « deuxième vie » de militant. Il abandonne les bombes et embrasse définitivement la politique « officielle ». Un choix guidé par la raison (difficile de regagner la clandestinité sans affoler des services de renseignement toujours aux aguets) et par l’idéologie : « Sans force politique légale pour l’appuyer, le mouvement armé était voué à l’échec. Or, il n’y avait pas de grands partis politiques bretons pour relayer les revendications des clandestins. » En 1982, quelques mois seulement après sa sortie de « zonzon », il cofonde le Parti pour l’organisation de la Bretagne libre (Pobl), aux côtés notamment de Yann Fouéré. Ce dernier est une figure de proue de l’autonomisme breton. Nationaliste au parcours tortueux, partisan d’une « Europe des ethnies », Fouéré est le maître à penser de Patrick Montauzier :« C’est un père spirituel. Cet homme a voué toute sa vie à la Bretagne. »
Le Pobl, parti fédéraliste européen classé au centre-droit, rassemble quelques centaines de sympathisants à son apogée au début des années 90. Il envoie des candidats aux élections régionales, sans parvenir à créer une réelle dynamique, ni à rafler des scores faramineux. Montauzier, dans le même temps, vire à droite toute.« J’ai pris conscience que la gauche avait toujours menti à la classe ouvrière. Quatorze ans de socialo-communisme en France n’ont rien apporté aux ouvriers. Or, je suis un fils du peuple resté près du peuple. Je n’accepte pas qu’on le trahisse. Je suis pour une droite sociale et nationale, avec un respect des valeurs fondamentales que sont la famille, les traditions et les racines. »
En guise d’« aboutissement » de cette évolution idéologique, Patrick Montauzier fonde Adsav ! en 2000. Un « parti du peuple breton » indépendantiste, étiqueté « droite nationale » par son instigateur. Ce dernier réfute l’expression « extrême droite », mais ses chevaux de bataille ne trompent pas.
Dans le journal bimestriel du parti, intitulé War raok et dirigé par Montauzier, il est question de « corruption des mœurs » et de « perversion » des valeurs chrétiennes et celtes par les « lobbies » homosexuel, progressiste ou musulman.
Morceau choisi :« [Le] basculement […] pour la Bretagne s’est amorcé avec sa francisation qui, aujourd’hui, arrive à son terme, et se prolonge par la force de l’immigration […] Nos yeux grand ouverts voient nos villes, nos bourgs, nos villages, nos rues et nos écoles devenir les copies conformes des cités crasseuses dites des “pays émergents”. »
Le reste est à l’avenant… Pas étonnant, dans ce contexte, que les leaders d’Adsav ! frayent avec ceux du Vlaams belang flamand et de la Ligue du Nord italienne****.
Malgré des scores « corrects » aux élections cantonales de 2008 (Patrick Montauzier obtient 4% des voix à Dol-de-Bretagne), Adsav ! ne s’est jamais imposé dans une mouvance autonomiste bretonne qui peine à décoller dans les urnes.
Surtout, ses positions très droitières lui valent des réprobations catégoriques et unanimes dans une région majoritairement centriste et modérée.
Le retraité Montauzier, désormais grand-père, passionné de pêche en rivière, ne semble pas ébranlé par ces critiques. Il croit dur comme granit à l’utilité de son « combat » pour l’indépendance de la Bretagne : « Si nous n’avions pas existé, il n’y aurait pas eu d’école Diwan, par exemple. »
Si c’était à refaire ? « Je referais tout. Ah oui, tout ! J’essaierais juste de ne pas me faire prendre. »