J'ai servi durant 6 années au sein du 35eme Régiment d'Artillerie Parachutiste (35e RAP) sur des pièces de mortier de 120 mm et de canons de 155 mm TRF1 et CAESAR, je connais parfaitement notre arme, son utilisation au pointage qui est d'une extrême précision, les formidables dégâts occasionnés par nos obus sur les forces ennemis, l'impact psychologique de nos obus tombant toute une nuit sur des positions ennemis les empêchant de dormir et sapant leur moral avant l'attaque, notre responsabilité à appuyer les fantassins qui se battent en première ligne, les nouveaux obus à visée laser d'une précision chirurgicale ...
Je me permet d'écrire en tant qu'ancien Brigadier servant-pièce après le choc que j'ai reçu en voyant ces images de civils, femmes, enfants et vieillards tués dans leur maison frappés par le même type d'obus que je manie depuis mes 17 ans, ma première pensée va à l'encontre des officiers chargés de définir les cibles à bombarder, comment peuvent-ils prendre la décision criminelle de cibler une zone dans laquelle vivent des civils?
Surtout quand on sait que la première patrouille ennemie se trouve à plus de 3 KM du lieu d'impact?
Ma seconde pensée vient au sous-officier chargé de calculer le tir et qui se rend OBLIGATOIREMENT compte que la cible est un quartier résidentiel, lui qui a le pouvoir de modifier la trajectoire des obus est-il prêt à vivre toute sa vie avec des morts civils sur la conscience? Vous me direz "c'est pas si simple que ça en a l'aire" et vous aurez raison car c'est encore plus simple, il lui suffirait juste de donner l'ordre de rajouter une charge de poudre ou d'en enlever une sur l'obus pour qu'il tombe un peu avant ou après la zone civile.
Ma troisième pensée vient envers celui que l'on appel dans l'armée Française le VIT (véhicule d'implantation topographique) qui guide le pointeur de la pièce sur les coordonnées à bombarder, lui aussi est parfaitement conscient de l'endroit EXACT où les obus vont tomber mais qui choisit d'être complice de ce massacre, il lui suffirait juste de changer d'un millième (un millième = 100 mètres à 1KM) soit un angle de tir (qui définit si l'obus tombe plus ou moins loin de sa cible initiale) ou sur le noir initial ou le rouge de tir (dans toutes les artilleries ce langage est le même sur tous les goniomètres du monde), donc celui qui guide le chef de pièce et le pointeur est aussi coupable de meurtre.
Ma quatrième pensée va envers le chef de pièce, c'est à dire celui qui commande le pointeur, les artificiers ... qui reçoit les ordres et les coordonnées du VIT et les retranscrit à son pointeur, lui en revanche ne sait rien de ce qui se dit en plus au lieu, lui ne sait pas où vont tomber ses obus mais l'apprendra en même temps que toute sa pièce après-coup, comment peut-il continuer à ordonner le feu alors qu'il sait parfaitement que ceux qui lui donnent des ordres sont des criminels de guerre.
Une dernière pensée envers le pointeurs et les autres servants pièce, comment peux-tu continuer à travailler sur ton goniomètre comme si de rien n'était?
Artificer, comment peux-tu continuer à poser des charges sur ton obus tout en sachant qu'il va tuer des innocents?
Chargeur-tireur, comment peux tu continuer calmement à mettre ton obus dans ta pièce et tirer en te disant "peut-être que je suis une fois de plus complice d'un massacre de civils"?
L'artillerie est selon moi la plus belle des armes qui mêle calcul et précisions avec le bourrinage des servants chargés de porter des obus qui pèsent parfois environ 50 KG, j'étais fière d'appartenir à cette arme noble, pointer c'est tout un art, le pointeur est à sa manière un artiste, l'artillerie Ukrainienne en a fait une arme de terreur contre les populations civils et ça c'est inacceptable pour tout artilleur qui se respecte, si on m'avait donné les mêmes ordres que ceux que l'on donnes aux servant-pièce Ukrainien j'aurais préféré jeter une grenade dans le tube plutôt que de me dire que cet obus que j'ai touché, cet obus que j'ai placé dans le canon, cet obus a tué une mère et son enfant.