Jean-Marc Rouillan, ancien chef de l’organisation terroriste Action directe, se mobilise pour la libération de son ex-voisin de cellule, Georges Ibrahim Abdallah, présenté comme « prisonnier politique » de la France alors qu’il fut l’un des terroristes les plus recherchés d’Europe !
Et, en pleine période de crise, il appelle l’extrême gauche à se radicaliser ! Ça va durer longtemps, ces clowneries ?
Au 18 de la rue Gambetta, à Toulouse, à quelques centaines de mètres du Capitole, se trouve la librairie Terra Nova. Un espace « alternatif »en forme de « librairie-café » où, bien sûr, le café est « équitable », les jus de fruits « bio » et la pâtisserie « algéroise ». Pieds-noirs s’abstenir: on est là dans un antre anticolonialiste et « anti-impérialiste » où la seule parole alternative est celle des gauchistes d’une ville dont la pierre rose se transforme ici en pavés du rouge le plus vif.
Mardi 30 octobre, en soirée, s’y est tenue la présentation d’un livre publié par les éditions Al Dante, ouvrage signé d’un « collectif international » accompagné d’une étoile rouge [voir couverture du livre en bas de cet article] qui était la signature d’Action directe et sobrement titré : Georges Ibrahim Abdallah (1).
Soit 96 pages contre « l’effacement de la mémoire » à propos de celui qui est présenté, dans l’avant-propos non signé de cet « acte militant », comme « le plus ancien prisonnier politique en France » et comme « un militant révolutionnaire ».
Pour présenter l’ouvrage devant un public tout acquis à la cause du « héros » du livre, un autre « militant révolutionnaire » : Jean-Marc Rouillan.
Georges Ibrahim Abdallah, complice de crimes en série
« Prisonnier politique », Georges Ibrahim Abdallah? Les familles de ses victimes apprécieront… Incarcéré à la prison de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, ce Libanais – membre, dans les années 1970, du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) de Georges Habache – fut le fondateur et le chef des Fractions armées révolutionnaires libanaises (Farl), organisation terroriste dont le quartier général était à Beyrouth et les bases clandestines, pour ses opérations en Europe, à Paris et à Lyon. « Nous avions décidé de mener des actions à l’étranger, notamment en Europe, plutôt qu’au Liban, conformément au slogan: “Frapper l’ennemi partout où il se trouve” », confiera bien plus tard un membre des Farl à la chaîne Al-Jazeera. L’ennemi, c’est l’impérialisme américano-israélien et donc, physiquement, ses représentants…
L’apogée des Farl a lieu entre 1982 et 1984. Le 18 janvier 1982, Charles Robert Ray, attaché militaire à l’ambassade des Etats-Unis en France, est assassiné à Paris.
L’acte terroriste est revendiqué par les Farl. Le 3 avril, le diplomate israélienYacov Barsimantov est assassiné à Paris. L’acte est, lui aussi, revendiqué par les Farl. L’organisation se fait discrète en Europe durant deux ans puis, au début de l’année 1984, les crimes reprennent. Avec toujours cette obsession: frapper l’ennemi « sioniste » et ses complices partout où ils se trouvent.
Le 26 mars 1984, Robert Homme, consul américain à Strasbourg, cible d’un attentat, échappe miraculeusement à la mort. Un peu plus tôt, ce sont les locaux de la mission commerciale israélienne à Paris qui ont été mitraillés, sans faire de victimes.
Les Farl, toujours et encore, revendiquent. De même que, le 15 février 1984, elles avaient revendiqué l’assassinat, à Rome, de l’amiral américain Ray Leamon Hunt – encore aujourd’hui présenté comme « un porc » sur certains sites Internet qui pratiquent, sans que cela ne gêne quiconque, l’apologie du terrorisme.
Si Ray Leamon Hunt a été « exécuté », selon la terminologie employée par les terroristes, c’est en qualité de directeur général de la Force multinationale d’observation au Sinaï, constituée pour garantir les accords de paix de Camp David conclus en 1978 entre l’Egypte et Israël. Des accords de paix vus comme une trahison des « intérêts légitimes » du peuple palestinien…
Quand « L’Humanité » défend la cause terroriste
Pendant trois ans, Georges Ibrahim Abdallah, traqué par toutes les polices d’Europe, est l’ennemi public numéro un. Particulièrement en France qui, durant cette période, connaît d’autres vagues d’attentats commis par celui qui est considéré comme son alter ego – Carlos – et par Action directe, dirigé par Jean- Marc Rouillan. Un mouvement avec lequel Abdallah est en relations…
Arrêté en 1985 à Lyon, porteur d’un faux passeport algérien, il sera condamné en 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité dans les assassinats de Charles Ray et de Yacov Barsimantov, et cela après que le tristement célèbre Comité de solidarité avec les prisonniers politiques arabes et du Proche-Orient (CSPPA) avait exigé sa libération en ensanglantant Paris par une série d’attentats, dont celui de la rue de Rennes qui avait fait sept morts et cinquante cinq blessés.
C’est peu dire que le verdict de la cour d’assises spéciale de Paris fut accueilli avec soulagement, sauf par l’avocat d’Abdallah, Me Jacques Vergès, et par… le Parti communiste. Ainsi lira-t-on sous la plume deClaude Cabanes, dans « L’Humanité »: « Washington a gagné, sous les applaudissements de Tel-Aviv. »
Depuis, Georges Ibrahim Abdallah multiplie les demandes de liberté conditionnelle, systématiquement refusées. Une huitième de mande est en cours d’examen. Le parquet s’y est opposé, constatant qu’il n’avait jamais émis le moindre regret et qu’il était resté « implacable et résolu ».
Le tribunal d’application des peines doit rendre sa décision dans deux semaines, le 21 novembre. Le 23 octobre, quelques dizaines de gauchistes ont manifesté devant la prison de Lannemezan aux cris de: « Palestine vivra, Palestine vaincra/Libérez Georges Abdallah ».
Et « L’Humanité » poursuit sa croisade pour sa libération, s’étranglant dans son édition du 25 octobre qu’il «[croupisse] dans des geôles françaises [et qu’on ne lui reconnaisse] pas le statut de prisonnier politique (la démocratie française ne veut pas admettre qu’elle emprisonne des personnes pour délits d’opinion). »
L’époque des bombes : « un véritable moment de fête »
Jean-Marc Rouillan, lui, est sorti. En 1989, le chef du groupe terroriste Action directe avait été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de dix-huit ans, pour l’assassinat du général René Audran, inspecteur général de l’armement, le 25 janvier 1985, et pour celui de Georges Besse, alors p-d-g de Renault, le 17 novembre 1986 – deux crimes vraisemblablement commandités par Téhéran dans le cadre du différend qui opposait la France et l’Iran dans un dossier de livraison d’uranium enrichi (2).
Depuis le 19 mai 2011, Rouillan est dehors. D’abord placé sous un régime de semi-liberté assorti du port d’un bracelet électronique, il est en liberté conditionnelle et débarrassé de son bracelet depuis le 18 mai dernier. Paraît-il, contre l’avis du parquet… Il travaille pour les éditions Agone, installées à Marseille, qui ont publié plusieurs de ses écrits, et se fait donc le VRP du « livre militant » consacré à Georges Ibrahim Abdallah, son voisin de cellule « pendant 11 ans ».
Mi-octobre il était à Istres, dans les Bouches-du-Rhône, pour y défendre « Georges » – et pourquoi pas Jojo? – et y livrer cette savante analyse: « Aujourd’hui, sa chance est peut-être de retourner au Liban. Après l’avoir oublié, aujourd’hui, la résistance palestinienne le revendique comme un de ses cadres. »
Sûr que, dans le contexte actuel, ça va aider…
Puis il s’est donc rendu à Toulouse, où il était jusqu’alors… interdit de séjour ! Durant son régime de semi-liberté en effet, Rouillan n’avait pas le droit de se rendre dans la ville rose. Pourquoi cet interdit? Parce que c’est là que, dans les années 1970, il avait « milité » au sein des Groupes d’action révolutionnaire internationalistes (Gari), organisation armée antifranquiste responsable d’une vingtaine d’attentats et d’attaques à main armée sur le sol français; là aussi qu’il avait tissé et conservé des réseaux gauchistes… pas assez durs à son goût !
Le Centre régional des lettres n’est pas regardant
Dans un entretien publié par « Libetoulouse.fr » le jour de sa venue, Rouillan se montre nostalgique de l’époque où l’âme ibérique de la ville produisait de « vraies fêtes »: « La vraie fête a toujours été une remise en question de l’ordre établi… Dans la contestation radicale… En cela, la lutte des Gari par exemple a été un véritable moment de fête… » Et un mois plus tôt dans « Le Progrès de Lyon » il déclarait: « Ce qu’il manque, c’est une radicalisation véritable de l’extrême gauche, qui n’attaque pas les problèmes d’une façon radicale. » Georges Ibrahim Abdallah, le livre, est plus qu’une plaidoirie pour sa libération. C’est un véritable manifeste en faveur de celui qui « au fond de sa cellule […], n’a jamais abdiqué, ni renié la cause révolutionnaire internationaliste » en même temps qu’une défense du terrorisme rebaptisé « action anti-impérialiste ». Ainsi lit-on que s’« il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité[…] pour complicité avec les auteurs de deux actions anti-impérialistes particulièrement ciblées, la première contre l’attaché militaire de l’ambassade américaine et la seconde contre le responsable du Mossad pour l’Europe » – rappelons que les deux ont été assassinés! –, il « convient de rappeler qu’à l’époque son pays était bombardé par les avions américains et israéliens », « que des milliers de civils mouraient », « que le Sud-Liban était occupé… ».
Et alors ? En quoi cela autorise-t-il à venir assassiner des diplomates – vrais ou faux, peu importe – sur le sol français? La démonstration est d’autant moins convaincante qu’elle est d’une parfaite mauvaise foi! Ray et Barsimantov ont été assassinés par les Farl en janvier et avril 1982.
Or, l’invasion du Liban par les troupes de l’Etat hébreu (opération baptisée par les Israéliens « Paix en Galilée ») a été enclenchée le 6 juin 1982… Pour un livre qui prétend « rapporter les faits bruts », il y a à redire. De même qu’il manque un mot essentiel, celui de « terroriste », à la définition qui est donnée des Farl dans ce livre: « organisation communiste et anti-impérialiste ».
Fin 2007 déjà, Jean-Marc Rouillan avait été libéré sous un régime de semi-liberté. Moins d’un an plus tard, il repartait en prison pour avoir accordé un entretien à « L’Express » dans lequel il disait vouloir « porter le conflit[social] jusqu’à l’affrontement » et expliquait: « En tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un moment du processus révolutionnaire est nécessaire. » Et cette fois, on le laisse dehors ou on le renvoie au gnouf ?
La rencontre toulousaine à la librairie Terra Nova pour la présentation du livre par Jean-Marc Rouillan a été promue par le Centre régional des lettres de Midi-Pyrénées, financée par le conseil régional de Midi-Pyrénées – présidé par le socialiste Martin Malvy –, et par… la direction régionale des Affaires culturelles du ministère de la Culture! Rien d’étonnant, en fait, puisque les éditions Al Dante « sont régulièrement aidées/subventionnées », lit-on sur leur site, par le Centre national des livres (CNL), « établissement public du ministère de la Culture et de la Communication, [qui] a pour mission d’encourager la création et la diffusion d’ouvrages de qualité ».
SiAurélie Filipetti (le ministre de la culture) n’était pas au courant, maintenant elle l’est.
Manuel Valls et Christiane Taubira aussi.
Antoine Vouillazère
1. Georges Ibrahim Abdallah, éd. Al Dante, 96 pages, 15 euros.
2. Lire à ce sujet : Une guerre, par Dominique Lorentz, éd. des Arènes, 1997.
Article de l’hebdomadaire “Minute” du 7 novembre 2012 reproduit avec son aimable autorisation. Minute disponible en kiosque ou sur Internet.
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