FINLANDE : le pays modèle qui se retourne contre ses minorités
Timo Soini, chef des "Vrais Finlandais" en campagne à Helsinki, le 27 octobre 2012.
Population : 5,45 millions d'habitants
Date d'adhésion à l'Union européenne : 1995
Taux de chômage : 8,4%
Revenu moyen par habitant : 20 826 euros, contre 19 995 en France et 14 811 en moyenne en Europe.
Le cliché: La Finlande, c'est l'équivalent du "blond", dans le sketch de Gad Elmaleh. Soit un des pays nordiques cités tant de fois en exemple : une fois pour son modèle éducatif, une fois pour la parité, une autre fois encore pour son système social.
Un pays que la crise n'a fait qu'égratigner mais où un parti fait recette sur le thème des "Finlandais d'abord", contre l'Union européenne et l'immigration, pourtant très faible, 3,5% de la population est née à l'étranger.
A la rencontre de qui allons-nous ? Perussuomalaiset. Traduisez : les "Vrais Finlandais".
Un "parti de la classe ouvrière sans socialisme", comme le définit son fondateur. Le mouvement s'est rapidement installé dans le paysage politique finlandais.
Aux législatives de 2011, les "Vrais Finlandais" ont multiplié leur score par cinq, notamment grâce à Timo Soini, leur leader chaleureux et charismatique, élu député de la circonscription d'Helsinki, la capitale. Aux municipales de 2012, ils rassemblent 12,3% des suffrages.
Pour ces élections européennes, les sondages les créditent de 18% des voix, à égalité avec le Parti du Centre. Ils obtiendraient trois sièges au Parlement européen contre un seul en 2009 (9,8%).
Catégorie : Nationaliste et eurosceptique. "Ce parti n'a jamais défini une plate-forme très riche en contenu ; mais, le plus souvent, il a été présidé par un leader doté de talent politique, de charisme, de dons oratoires, capable de tenir des propos mordants et pleins d’esprit", explique Kyösti Karvonen, journaliste qui suit les nationalistes finlandais depuis les années 1980.
Parcours : Je commence à Helsinki et ses alentours, à la rencontre des candidats "PS"– pour Perussuomalaiset –, puis j'irai vers les bastions électoraux du parti, dans le nord-est du pays.
Avec des étapes à Viitasaari, où leur leader local, Seppo Hakkarainen, a manqué d'être expulsé du parti après des propos racistes, et Lieksa où les tensions sont vives après l'arrivée de quelque 400 étrangers non-européens dans une ville de 12 000 habitants.
Des conseillers municipaux du Perussuomalaiset ont notamment refusé d'utiliser des locaux où des Somaliens avaient précédemment tenu une réunion sous prétexte qu'ils étaient "salis".
Un médiateur a été nommé, dans une Finlande peu habituée aux remous.
Aux confins Nord-Est de la Finlande, "on veut rester blancs"
La rue principale de Lieksa, dans le Nord-Est de la Finlande.
"Sous la surface, ça bout", diagnostique Maja Mölsa, inquiète.
Dans son grand bureau qui surplombe la rue principale de Lieksa, qui même baignée de soleil semble figée une décennie en arrière, la rédactrice en chef de Lieksan Lehti évoque "une communauté locale bouleversée".
Victime de la crise industrielle, ce bourg à la limite avec la frontière russe, à 530 km au Nord-Est d'Helsinki, est passé de 20 000 à 12 000 habitants en vingt ans.
Mais surtout, depuis 2009, trois lotissements de logements sociaux que la mairie s'apprêtait à démolir, ont attiré quelque 400 réfugiés somaliens et une centaine de Kurdes d'Irak.
"Je croyais qu'ils allaient les virer"
"Ce n'est plus du tout mon Lieksa", regrette Hannes Nevalainen, 88 ans, petit homme qui marche d'un pas mal assuré, le bas de jogging remonté à mi-bedaine.
Né ici, il est revenu au début des années 80 pour sa retraite. "On ne voit que des hommes, c'est bizarre…", entame-t-il, yeux bleus grands écarquillés. "Ils ne sont pas des nôtres, ils n'arrivent pas à se mélanger", continue-t-il, tout en précisant : "Je pense pas qu'il y ait quelque chose de mal en eux, mais à Lieksa, on est trop pauvres pour les accepter, on veut rester entre nous, on veut rester blancs."
Socialiste toute sa vie, Hannes a voté Perussuomalaiset ("Vrais Finlandais") pour la première fois aux municipales en 2012.
"Je croyais qu'ils allaient les virer", assène-t-il toujours calme, en sirotant son café à la paille vous éviter que le tremblement intense de ses mains ne le déverse sur sa toile cirée dont le motif a totalement disparu.
"Personne n'ose être assez ferme là-dessus et les conseillers municipaux des 'Perus' ne sont pas assez nombreux pour agir", déplore l'ancien ouvrier des industries textiles.
"Peur d'attraper des maladies"
Au nombre de 7 sur 33 élus, ces derniers ont tout de même réussi à agiter la commune. Mi-novembre 2013, ils ont créé la polémique en refusant d'utiliser la salle de la mairie dans laquelle le groupe préparait les réunions, après avoir découvert qu'elle servait aussi à accueillir celles de l'association locale des familles somaliennes.
"Question d'hygiène", "peur d'attraper des maladies".
Le scandale enfle, et les "Vrais Finlandais" du Conseil municipal - qui refusent depuis toute rencontre avec les journalistes - vont jusqu'à faire sécession lors du dîner de Noël de la municipalité.
Leur remuant député Jussi Halla-aho, qui publie quasi quotidiennement des billets racistes sur son blog, déboule dans la foulée pour tenir une conférence de presse virulente.
"Les 'Perus' accusent tous les jours la municipalité de donner plus d'aides aux Somaliens au détriment des natifs d'ici", raconte Tiina Sotkasiira, chercheuse à l'université Finlande Est qui travaille sur les questions d'intégration à Lieksa.
"A chaque fois qu'un Somalien a un nouveau manteau, une nouvelle voiture, ils harcèlent les travailleurs sociaux pour voir les comptes".
"Il est trop tard pour les faire partir"
Tuula Koponen, 56 ans, militante des "Vrais Finlandais" depuis "trop d'années pour s'en souvenir" s'en cache le visage de honte derrière sa manucure toute en nuances de mauve.
Elle n'aime pas ce climat mais le comprend bien. "On les (les Somaliens) a directement mis dans l'eau froide", raconte-t-elle.
"Personne ne leur a expliqué comment on vit ici, où les chômeurs vont cueillir les baies dans les bois pour arrondir leurs indemnités, où est le super lac où tout le monde pêche…"
Du coup, ils achètent leur filet de poisson très cher au supermarché et "ça fait mauvais genre", explique cette employée de l'Education nationale en charge des élèves en difficulté.
Maintenant, "on va s'en occuper, il est trop tard pour les faire partir" mais à l'avenir, Tuula veut "défendre les gens nés ici".
Faute de quoi, elle redoute que des jeunes locaux au chômage, "trop amers", ne "passent à l'acte".
La police "accusée de défendre l'étranger"
Pour l'instant, les violences se sont cantonnées à des tags racistes et des voitures de Somaliens vandalisées. "Vingt-neuf actes en 2010 et quatre en quatre mois en 2014", souligne Taisto Huokko, chef de la police du secteur "Finlande de l'Est", qui rappelle qu'on en dénombre autant sur une année entière dans une commune plus importante de son rayon d'action.
Ce qui l'inquiète particulièrement, ce sont "les intenses discussions sur les réseaux sociaux", dont il ne veut même pas répéter la teneur tant les propos sont durs.
Il a délégué un de ses agents à leur surveillance, chargé de publier des démentis aux rumeurs et d'apaiser les esprits.
Du coup, "la police est accusée de défendre l'étranger et de limiter les droits fondamentaux des Finlandais de souche", raconte-t-il, le regard incrédule derrière ses petites lunettes discrètes.
"Dès que les 'Perus' viennent, le racisme augmente"
"Ils sont jaloux, ils pensent qu'on mange leur argent", résume Mohamed Farah, responsable de l'association des familles somaliennes de Lieksa, qui s'exprime moitié en anglais et en finnois.
Petit à petit, ses "compatriotes" trouvent des emplois de chauffeurs de bus ou dans les maisons de retraite.
Dix d'entre eux ont un travail, précise-t-il, dans un pays où un poste de femme de ménage ou serveur requièrent près de deux ans d'études. "Ils ne nous ouvrent pas leur coeur", déplore-t-il en racontant que certains habitants peuvent passer un an sans adresser un seul mot à leur voisin somalien.
Les traits tirés, ce quadragénaire qui compte organiser des parties de foot et des camps de vacances mixtes cet été, estime malgré tout que la situation s'améliore.
"Dès que les Perussuomalaiset viennent faire des meetings, le racisme augmente, sinon ça se tasse", note-il.
Le jour même, Jussi Halla-Aho, posait une question au gouvernement pour accuser le maire de Lieksa de favoriser ses intérêts en faisant "venir en masse les immigrés dans sa ville".
Troisième sur la liste des "Vrais Finlandais" aux élections européennes, il était invité dans la foulée à un débat télévisé sur l'Europe.
La rue principale de Lieska s'est désertée d'un coup.
Même Hannes, le retraité, a écourté son karaoké, qu'il pratique jusqu'à cinq fois par semaine, pour aller l'écouter.
http://blog.francetvinfo.fr/trans-europe-extremes/2014/04/27/aux-confins-nord-est-de-la-finlande-on-veut-rester-blancs.html#xtor=EPR-32-[finlande]-20140429-[Une]