Vendre des objets nazis aux enchères n’est pas un délit. Et, donc, les acheter non plus.
Dans une démocratie et un État de droit se flattant d’être à la hauteur, on pourrait penser que c’est le point crucial, décisif.
Apparemment non.
En effet, une partie de la vente aux enchères prévue pour le 26 avril, intitulée « Prises de guerre de la 2e DB au Berghof le 5 mai 1945 », a été annulée le 14 avril.
Elle se serait rapportée notamment à des passeports de Göring et de sa femme, à un coffre en bois d’Adolf Hitler incrusté de croix gammées et à un napperon en dentelle orné d’un aigle (Le Parisien). […]
Le catalogue de la vente, sous l’égide du commissaire-priseur Nathalie Vermot, énonçait qu’une partie des bénéfices serait reversée à l’Union des déportés d’Auschwitz. […]
Comment cette interdiction […] a-t-elle été décidée ?
Dès le 11 avril, le CRIF s’était « indigné du commerce » de ces pièces nazies et le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), qui avait jugé la vente « obscène », s’est félicité de l’annulation.
Les associations juives, durant le week-end, ont exigé l’interdiction de la vente et la saisie des objets car, selon elles, il s’agissait « d’une atteinte à la mémoire des victimes de la barbarie nazie ».
Leur démarche a été appuyée par le ministre de la Culture Aurélie Filippetti. Sous la pression de celle-ci, une réunion de crise a été organisée au CVV, « les gendarmes du marché de l’art ».
Face à une telle situation, Nathalie Vermot, qui initialement avait résisté à la volonté d’interdiction au nom de la liberté, a cédé et pris les devants […]. Elle a obtempéré aux injonctions non pas du droit mais de la morale, si l’on en croit le ministre, qui a salué « une décision nécessaire au regard de l’histoire et de la morale ».
Qu’ai-je donc besoin de me mêler de cela puisque apparemment tout est bien qui finit bien dans le meilleur des mondes […] ? Je mesure le danger intellectuel qu’il y a à ne pas prendre pour vérité acquise et décret incontestable une interdiction résultant de la pression d’associations juives conjuguée avec un soutien ministériel fort.
Pourtant, il me semble que si personne jamais ne s’émeut au prétexte que la cause serait à la fois dérisoire et réglée et qu’elle concerne des amateurs – jugés d’emblée scandaleux – de souvenirs historiques frappés d’opprobre, un jour on perdra tout sens de la liberté. […]
Au risque de me faire agonir sur ce sujet périlleux, je ne vois pas au nom de quoi les désirs des associations juives, à considérer certes avec attention et respect, devraient être forcément perçus comme des ordres par l’autorité politique. Je ne la qualifie pas idéologiquement parce que je suis persuadé malheureusement que la droite aurait eu la même attitude soumise que la gauche […].
La malfaisance de l’Histoire est une épouvantable réalité au regard de l’Holocauste. Il n’y a que quelques malades qui en discutent l’ampleur et l’horrible singularité. Mais prétendre sans cesse expulser cette malfaisance de nos têtes en feignant d’abolir l’Histoire est une absurdité.
Qu’on le veuille ou non, Hitler, Göring et leurs objets relèvent d’aujourd’hui, parce qu’ils ont existé hier et que leur condamnation sans appel n’interdit pas à qui que ce soit, s’il en a envie, d’acheter des choses reliées à leur environnement.
Dans notre espace démocratique il y a aussi, à force, quelque chose d’insupportable à voir traités les citoyens que nous sommes comme des enfants à éduquer et à protéger. Comme s’il nous fallait à tout instant rendre compte de nos paroles, de nos écrits, de nos goûts, de nos plaisirs et même de nos achats, aussi étranges ou surprenants qu’ils puissent apparaître pour le sens commun.
Décidément le fait que des souffrances particulières, aussi légitimes qu’elles soient, fondées sur une mémoire douloureuse et impérieuse, puissent justifier l’annulation d’un droit fondamental, d’une liberté essentielle, ne cessera pas de me stupéfier dans notre République.[…]
Extrait de : Acheter nazi, une honte ou une liberté ?
http://www.bvoltaire.fr/philippebilger/vendre-objets-nazis-il-etre-interdit,56905?utm_source=La+Gazette+de+Boulevard+Voltaire&utm_campaign=ae6fd793cc-RSS_EMAIL_CAMPAIGN&utm_medium=email&utm_term=0_71d6b02183-ae6fd793cc-30403221&mc_cid=ae6fd793cc&mc_eid=35158644a0