À la une du Point.fr
Longtemps, le PS a combattu le FN en remettant en cause sa légitimité républicaine.
Aujourd'hui, le parti des Le Pen est annoncé en tête lors des élections européennes, et la stratégie est remise en question.
Une frange de plus en plus importante du parti au pouvoir souhaite affronter l'ennemi héréditaire sur le plan des idées, en expliquant aux électeursles conséquences économiques potentiellement désastreuses qu'engendrerait l'application du programme de Marine Le Pen.
Le Guide anti-FN (3 euros, éditions Librio) signé par la Gauche forte, un courant du PS fondé en janvier 2013 pour combattre "la collusion d'une partie de la droite avec les thèses du FN" et animé par les députés socialistes Yann Galut et Alexis Bachelay, s'inscrit dans cette logique.
L'ouvrage de 110 pages imprimé à 6 000 exemplaires propose un argumentaire prêt à l'emploi pour expliquer "ce qui se passerait vraiment si on sortait de l'euro, si on fermait les frontières et si Marine le Pen entrait à l'Élysée".
L'occasion de revenir avec Yann Galut sur le positionnement adopté par les socialistes face à un électorat qui adhère de plus en plus aux thèses frontistes.
Le Point.fr : Pourquoi sortir un guide anti-FN ? Pourquoi maintenant ?
Yann Galut : Les gens n'ont pas assez conscience de la dangerosité du programme économique du Front national.
Le guide est là pour armer les candidats, les militants et les sympathisants qui seront confrontés à des électeurs tentés par le FN lors de porte-à-porte et au quotidien.
Nous l'avons sorti dans l'optique des municipales et des européennes. Grâce à lui, ils pourront prendre conscience des conséquences désastreuses de ce programme.
Lesquelles, selon vous ?
Il faut expliquer que la sortie de l'euro augmenterait le prix de l'essence de 20 % à 40 %. Que cette monnaie unique nous a protégés pendant la crise. Qu'il n'existe pas de produit made in France sans matières premières produites à l'étranger.
Que faire du protectionnisme à l'égard de la Chine, c'est mettre en péril nos exportations viticoles dans ce pays. Que la sortie concertée de l'Europe est impossible. Qu'il n'y a aucun projet sur la fiscalité. Marine Le Pen dit qu'il faut baisser les charges, mais on ne sait pas comment, ni de combien.
Ce projet économique, c'est le flou le plus total. Si elle accède au pouvoir, elle ne pourra pas appliquer son programme. D'ailleurs, elle n'y croit pas elle-même.
Pourquoi adopter un programme inapplicable ?
Le contexte économique est favorable pour jouer sur les peurs. Marine le Pen souhaite fractionner la droite et la recomposer autour d'elle.
Ce programme économique est d'ailleurs la seule digue qui sépare le FN et la "ligne Buisson" qui a été adoptée à l'UMP. Jean-Marie Le Pen était le principal supporteur de Ronald Reagan. Marine Le Pen est la fille de Georges Marchais pour le protectionnisme et de Margaret Thatcher pour l'hostilité envers l'Europe.
Sur le plan économique, elle vit vraiment dans le passé. Elle ne parle pas de mondialisation, mais de mondialisme. Elle évoque la puissance de l'argent et le totalitarisme mondialisé. Même le Parti communiste ne tient plus ce genre de discours.
Encore un livre anti-Front national. N'est-ce pas une manière de conforter la rhétorique victimaire du parti et de lui donner plus d'écho ?
Nous nous sommes posé la question avant de commencer le projet. Mais Marine le Pen n'est plus dans la victimisation. Les scores du FN flirtent avec les 25 %. Il faut donc faire quelque chose.
À 10 %, il est possible de contester leur légitimité. Mais ce n'est plus possible aujourd'hui. Il y a désormais un vote d'adhésion au FN et plus seulement un vote contestataire.
En 2017, elle peut être très haut. Et notre stratégie a changé. Le combat contre le FN a toujours eu lieu sur le terrain des valeurs. Il y a eu la création de SOS racisme, il y a aussi eu la marche pour l'égalité.
Mais si nous voulons leur reprendre l'électorat populaire, il faut faire un travail d'affrontement idéologique et pédagogique.
La bataille se situe sur le plan économique. On ne peut plus se contenter de dire que le FN, c'est mal.
La gauche n'a-t-elle pas trop tardé à adopter cette stratégie ?
Nous avons un problème de positionnement pour répondre au FN. Si on franchit l'étape de discuter de leur programme, on leur accorde du crédit.
Si on refuse, on fait leur jeu.
Mais le débat prévu lundi entre Marine Le Pen et Pierre Moscovici montre qu'en plus du combat sur les valeurs, nous voulons aussi nous confronter sur le plan des idées. Nous avons tardé, mais il faut y aller maintenant.
Aujourd'hui, notre adversaire principal, c'est le FN. Selon un sondage de BFM TV, les Français considèrent que le principal adversaire de François Hollande, c'est Marine Le Pen.
N'est-ce pas dans votre intérêt électoral de créer des tensions sur des sujets sociétaux pour faire monter le FN et diviser la droite ?
Nous ne sommes pas dans ce calcul. Le FN n'a pas besoin de nous pour monter. Il se débrouille bien tout seul. Est-ce que nous devrions nous taire sur ces sujets parce qu'ils profitent à Marine Le Pen ?
Nous portons ces combats depuis 30 ou 40 ans. Cela fait partie de notre ADN.
Mais c'est vrai qu'on fait quand même attention. Après le mariage pour tous, on a demandé au groupe socialiste à l'Assemblée nationale de mettre un frein au droit de vote des immigrés pour ne pas que ces thématiques soient récupérées par les extrémistes.
Les mouvements de contestation qui fleurissent en France ont-ils des articulations communes avec le Front national ?
Les mouvements qui contestent la légitimité du président comme "Jour de colère" ou lesmanifestations des Bonnets rouges sont des cousins germains du Front national. Ils demandent la démission de François Hollande.
Marine le Pen demande la dissolution de l'Assemblée nationale. Elle se place dans le cadre de la loi, mais cela participe de la même logique.
Jean-Marie Le Pen et Marion Maréchal ont rendu visite à Béatrice Bourges (la porte-parole du Printemps français qui avait entamé une grève de la faim pour réclamer la démission du président, NDLR). Cela marque une proximité indéniable entre eux.
Et Dieudonné, roule-t-il pour le FN, comme l'a suggéré Malek Boutih ?
Dieudonné participe à la logique de triangulation. Ils se répartissent les rôles avec le Front national. Il permet l'alliance objective sur certains sujets entre l'extrême droite et l'extrémisme musulman.
Ce n'est pas pour rien que Dieudonné et Soral s'allient avec Farida Belghoul, une ancienne de la marche des Beurs qui est à l'originedes rumeurs sur l'apprentissage de la théorie du genre à l'école.