Un jour un livre : Le Cœur rebelle, de Dominique Venner
13/01/2014 – 08h30
PARIS (NOVOpress) - Jaillie de feuilles arrachées à des carnets de souvenirs, se recompose sous nos yeux la période de la guerre d’Algérie et ses suites directes : l’O.A.S., les complots, les attentats.
En deux années de combats en Algérie, le jeune officier idéaliste qu’était Dominuque Venner a vécu une terrible “éducation sentimentale” dans la découverte du pays et des hommes à travers la violence.
Il est vite convaincu que c’est bien à Paris que la guerre sera gagnée ou perdue. Il poursuit alors la lutte sur le terrain politique : c’est l’engrenage de l’activisme, les complots, les attentats manqués contre De Gaulle, les dizaines d’arrestations, la prison (18 mois). Il abandonne enfin tout engagement politique en 1970.
Ce livre totalement personnel ne prétend rien justifier. C’est le constat lucide d’un parcours intègre, au travers duquel Dominique Venner cherche à répondre à la question qui tourmente les combattants de tout temps et de toute cause : quel sens donner à ce qui a été vécu ?
Novopress vous en livre en court extrait, en espérant donner à ses lecteurs l’envie d’aller plus loin et de dévorer cet ouvrage publié en 1994 et dont quelques exemplaires seulement sont encore disponibles.
À vingt ans, l’aventure de la guerre et des conjurations fut offerte à ceux de ma génération qui le voulurent. Peu y étaient préparés. Rares furent ceux qui purent changer cette occasion en destin. Au moins ceux-là ont-ils vraiment vécu, même et surtout ceux qui en moururent.
Nous avons goûté alors à quelque chose qui rend tout le reste insipide.
Ce quelque chose qui n’est pas le confort, ni le bien-être, ni le bonheur. L’envie m’est venue plus d’une fois de détruire les carnets que j’avais commencé de rédiger en prison et dont j’ai reproduit ici quelques pages. Ils survolent la douzaine d’années d’une autre vie, celle de la guerre d’Algérie et de ses lendemains, l’expérience cruciale de ma génération.
C’est alors, autour de ma vingtième année, que me furent révélées quelques vérités qui ont compté dans ma vie d’homme.
Ce qui subsiste en moi, c’est l’acquis d’une expérience irremplaçable et celui d’une souffrance que j’ai longtemps crue inguérissable. Je ne renie rien. Je ne regrette rien. Ce serait bien le comble de l’inélégance. Quand je relis ces pages, je découvre cependant un jeune homme qui m’est devenu en partie étranger. Sa témérité me surprend, son goût de la violence m’étonne. Mais j’éprouve une indicible sympathie pour ce garçon intolérant qui portait en lui comme une odeur d’odeur d’orage.
Souvent je me suis efforcé d’oublier, de tourner la page. Mais le passé ne vous laisse pas en paix aussi facilement. Etions-nous dans le vrai ? Avions-nous eu tort ? Questions dépourvues de sens. Mes raisons étaient celles de ma nature. Regardant en arrière, je vois beaucoup de mes actions d’autrefois comme des folies, mais ces folies étaient saintes. Elles étaient dictées par des sentiments purs et droits. Elles venaient de ce qu’il y avait en nous de plus fort et de plus vrai. Elles nous ont fait plus grands que nous n’étions.
Nous avons peu de dispositions pour inciter à la compassion. Nous n’aimions pas nous plaindre. Nous n’avions que mépris pour des adversaires qui faisaient commerce de leurs larmes. Nous préférions rendre les coups plutôt que de geindre, quitte à en être écrasé. C’est le risque pour qui incline à l’enthousiasme plutôt qu’à la tiédeur. Ce qui ne va pas sans une certaine dose de violence. Au moins étions- nous en bonne compagnie.
En 1808, au cours de son voyage dans l’Ouest, Napoléon rencontra aux Quatre- Chemins- de- l’Oie une héroïne de la grande révolte vendéenne.
A vingt ans, elle avait combattu les Bleus pistolet au poing. On la présenta à l’Empereur qui l’embrassa et la fit embrasser par l’Impératrice.
A ce moment, un homme s’avança. Napoléon l’interrogea :
- Et vous, Monsieur qui saluez si bas, qui êtes- vous ?
- Mais, répondit l’autre, je suis le maire de Saint-Florent, le frère de mademoiselle Regrenil.
- Que faisiez-vous, interrogea l’Empereur, pendant que votre sœur se battait si bien ?
Et le maire se croyant habile, répondit :
- Sire, moi, j’étais neutre.
- Neutre ! éclata Napoléon, alors vous n’êtes qu’un lâche, un jean-foutre. Et il le chassa de sa vue.
De tels récits avaient touché mon imagination d’enfant, éveillant à jamais le goût du courage et le mépris de la lâcheté. Et je persiste à croire à la valeur éducative de tels exemples. L’anecdote de mademoiselle Regrenil montre qu’il existe une franc- maçonnerie du courage qui est également celle de la générosité. Ce sont les lâches qui tuent par système et se vengent sur les enfants de ce qu’étaient les pères.
Par malheur, mon enfance et ma jeunesse ont été vécues dans un pays qui cultivait la bassesse, abandonnait les siens et s’effondrait devant l’épreuve de la guerre, alors que d’autres s’y grandissaient. J’en ai souffert plus que drame personnel.
De cette souffrance est née mon action et aussi ma réflexion des années violentes.
Dominique Venner, Le Cœur rebelle, éditions Les Belles Lettres (1994). Acheter sur Amazon