Les mafias à l'assaut de la France
Par Jean-Marc LeclercMis à jour le 21/10/2012 à 22:06 | publié le 21/10/2012 à 18:02
Un rapport confidentiel de la PJ note la montée des bandes des cités sensibles et l'implantation de groupes criminels étrangers. La drogue seule rapporte 2 milliards par an aux trafiquants.
Alors que le premier ministre doit présider ce lundi une réunion interministérielle à Paris, pour relever le défi des fusillades à répétition en Corse, Le Figaro publie les meilleurs extraits du dernier rapport confidentiel de la cellule antimafia de la PJ.
Un document rare, publié par le Service de renseignement et d'analyse sur la criminalité organisée (Sirasco) du commissaire Dimitri Zoulas.
Il dresse, en 93 pages, le portrait saisissant des familles du crime qui menacent des pans entiers de l'économie et de la sécurité nationale et ce, bien au-delà du western permanent sur l'île de Beauté.
Les groupes criminels concernés sont spécialisés dans le trafic de stupéfiants, le faux monnayage, les règlements de comptes, les vols à main armée, les extorsions violentes. La PJ leur attribue 28.770 infractions au total en 2011. Mais d'autres infractions, «moins graves commises par ou pour le compte d'organisations criminelles ne sont pas comptabilisées», prévient le Sirasco.
Certes, concèdent ses analystes, il n'existe pas de «mafia française» proprement dite, mais cela «n'exclut pas, bien au contraire, le développement de multiples organisations criminelles plus réduites, plus locales, plus spécialisées, moins pérennes, mais dont la détermination et la dangerosité sont très élevées».
La police judiciaire insiste sur le «fort impact du trafic international de stupéfiants». Selon elle, «l'activisme et les capacités d'adaptation des organisations criminelles issues des cités sensibles, responsables des importations massives de cannabis marocain et le déploiement continu des flux de stupéfiants, demeurent la principale source d'irrigation de l'économie souterraine en France». «Chiffre d'affaires» estimé par la PJ: «plus d'un milliard d'euros pour environ 250 tonnes de résine de cannabis consommées annuellement.
L'ensemble des autres drogues rapportent également un milliard d'euros». «Ce pactole équivaut à l'ensemble des salaires versés chaque année aux agents en tenue de la police nationale!», déclare, sidéré, un officier de police spécialisé dans le renseignement.
À côté des «organisations criminelles françaises traditionnelles (corse, marseillaise, gens du voyage)» dont la PJ note la «permanence», les analystes du Sirasco évoquent «la montée en puissance d'une jeune génération issue des cités sensibles».
Ils relèvent également la «présence dans la plupart des agglomérations françaises d'organisations criminelles étrangères», constatant le «maintien de l'implantation des grandes mafias (russophones, italiennes, chinoises), notamment en région parisienne ainsi que sur la Côte d'Azur».
Décentralisation du crime
Les directions régionales de la PJ ont fait remonter nombre d'informations pour alimenter ce rapport. La DIPJ de Strasbourg, par exemple, déplore «la mainmise des groupes criminels turcophones sur le trafic d'héroïne dans le grand Nord-Est du territoire français, s'appuyant sur une forte diaspora.
Ils collaborent avec les trafiquants des cités sensibles, pour transporter la marchandise importée de Belgique, des Pays-Bas et d'Allemagne (secteur de Kehl), ou pour assurer la distribution».
La PJ de Bordeaux rapporte que «l'année 2011 a été également marquée par plusieurs saisies importantes de cocaïne avec un recours accentué aux aéroports de province par les trafiquants».
La PJ de Lyon a traité, quant à elle, près d'un tiers de l'ensemble des quelque 500 affaires de proxénétisme recensées en France l'an dernier. Elle constate l'implication des «groupes criminels d'Europe de l'Est (notamment bulgares) et d'Afrique subsaharienne (groupes criminels nigérians à Grenoble notamment)».
En région parisienne, selon le Sirasco, «nombre de malfaiteurs se sont éloignés de Paris, s'implantant dans des villes périphériques telles que Creil».Mais, écrivent-ils, «un milieu affairiste prospère néanmoins dans la capitale: composé de plusieurs dizaines d'escrocs professionnels, cette mouvance criminelle s'est spécialisée dans les infractions financières, notamment les escroqueries à la taxe carbone, ayant généré plus d'un milliard d'euros de préjudice pour l'État, ou plus récemment les escroqueries aux faux ordres de virement visant plusieurs dizaines de grandes entreprises françaises et leurs filiales».
La PJ ajoute que «plusieurs enquêtes ont démontré que ces escrocs s'étaient associés à des organisations criminelles du grand banditisme traditionnel, mais également à des groupes criminels israéliens».
Rennes, Dijon, Orléans, Lille, toutes les grandes DIPJ, mais aussi la gendarmerie, ont contribué à ce rapport choc qui pointe des «facteurs aggravant les risques liés à la criminalité organisée».
Et les «antimafia» de citer, pêle-mêle: «La sophistication des circuits de blanchiment et la libéralisation de l'économie, l'utilisation frauduleuse des nouvelles technologies, la suppression des contrôles aux frontières dans un ensemble de plus en plus vaste, les exemptions de visa au bénéfice de certains États, les disparités législatives et réglementaires entre États membres de l'UE et la dispersion des informations au sein de multiples administrations».
Il y a bien une «mafia» en Corse, comme le dit Manuel Valls. Mais la police voit plus large. L'enjeu pour la PJ est international.
La recomposition sanglante du milieu corse
Le gouvernement présentera aujourd'hui un «plan» pour la sécurité de la Corse. Un préfet de police aux pouvoirs renforcés pourrait être nommé. Comme cela fut déjà tenté par le passé.
Pour les «antimafia», «les organisations criminelles corses (héritières de la Brise de Mer au nord ou de Jean-Gé Colonna au sud) sont pérennes: la recomposition du milieu, amorcée en 2006, s'est accentuée à partir de 2008, avec 56 règlements de comptes ou tentatives enregistrées dans l'île de beauté du 1er janvier 2009 au 1er juin 2012».
Depuis, avec l'assassinat de Me Sollacaro le 16 octobre, les victimes de morts violentes ont dépassé la soixantaine. «L'implantation traditionnelle de ces groupes en Corse, en région Paca et à Paris (jeux de hasard, extorsions, braquages, corruption, stupéfiants) est complétée par leurs ramifications en Amérique du Sud et en Afrique (casinos, hôtels).
Des malfaiteurs insulaires sont souvent associés à des organisations criminelles de la région de Marseille, donnant corps au milieu criminel dit corso-marseillais», ajoute la PJ. La gendarmerie apporte cet éclairage: «Les voyous semblent uniquement motivés par la génération de profits importants et rapides, sans considération de bandes, de relations ou de familles nettement identifiées.» Les parrains sont bien morts. La «guerre de territoire» met aujourd'hui en scène des voyous, des «hommes d'influence» et d'anciens nationalistes «embourgeoisés».
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Source et publication: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/10/21/01016-20121021ARTFIG00139-les-mafias-a-l-assaut-de-la-france.php?m_i=nKonQz454rwh12ZZ_O2vJ4%2B88kRtMuXjJHGY%2BercAbNFb2Fnh