Comment la France va vous mettre sur écoute dès cet été
La France va se doter d’un système centralisé d’interception des données téléphoniques et internet, géré par le groupe Thales.
Conversations téléphoniques, SMS, MMS, Internet… Dès cet été, l’ensemble des communications passera par ces grandes oreilles de l’Etat.
Le projet est secret. “Confidentiel-Défense” est inscrit sur les en-têtes des documents. La Plateforme nationale d’interception judiciaire (PNIJ) devrait voir le jour cet été, sous l’égide du ministère de la Justice, après plus de six ans dans les cartons.
Ce système de surveillance va permettre de centraliser en un seul point plus de 5 millions de réquisitions judiciaires (liste des appels téléphoniques, identité d’un abonné derrière un numéro…) et près de 40 000 écoutes autorisées par les juges dans le cadre de leurs enquêtes.
A la veille de son entrée en vigueur, avec deux ans de retard sur le calendrier initial, le "Big Brother" français pose surtout des problèmes d’une tout autre gravité : risque sur la sécurité des données, appel d’offres biaisé, dépassement de budget, coûts cachés et conflits d’intérêts avec le groupe Thales, lui-même sous le coup de plusieurs enquêtes.
Sur le papier, le projet était pourtant séduisant. Il permettait, à la fois, de gérer l’explosion des réquisitions et de réduire les coûts. Car l’augmentation continue du nombre d’écoutes téléphoniques ou des interceptions de SMS ne cesse de grever le budget de la Justice.
En cinq ans, les dépenses ont ainsi pratiquement doublé, passant de 55 à 106 millions d’euros en 2011. Et l’inflation n’est pas près de s’arrêter, étant donné l’accroissement de la surveillance des échanges sur l’Internet fixe et mobile.
A l’origine, le Big Brother devait coûter 17 millions d’euros. A présent, la douloureuse se monte à 43 millions. Au bas mot. Car Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free et Numericable ont dû déployer des fibres optiques jusqu’au site de la plate-forme pour répondre à leurs obligations légales d’acheminer les communications.
En considérant les frais de mise à jour de leurs systèmes d’information, ils sont en droit de se faire rembourser une quinzaine de millions d’euros supplémentaires. Mais il y a pire. Comme le souligne Francis Nebot, secrétaire national du syndicat Synergie officiers :
"Les réseaux Internet de la police nationale n’offrent pas les débits suffisants pour se connecter à ce système dans de bonnes conditions et accéder aux écoutes à distance. Du coup, le ministère de l’Intérieur va devoir investir pour redimensionner nos réseaux. On nous a offert une Ferrari sans avoir les routes pour la faire rouler !"
La plate-forme doit être dotée d’une soeur jumelle, qui prendrait le relais en cas de pannes. Or, selon nos informations, celle-ci est, elle aussi, basée à Elancourt, à 300 mètres seulement de la première. Un éloignement insuffisant en cas d’incendie, d’accident ou d’actes de malveillance.
"Les bonnes pratiques en la matière exigent une installation située à une distance entre 20 et 30 kilomètres du premier site", estime Marc Ayadi, consultant associé en sécurité informatique chez Deloitte.
La PNIJ doit être mise en service en septembre prochain et rendre obsolètes les trois plates-formes actuellement spécialisées dans l’interception des données. L’une concerne les SMS (le STIJ) : elle a coûté plus de 1 million d’euros. Les deux autres ont trait à l’Internet fixe et mobile. Appelées Cariatide et Primatice, elles vont également cesser leurs activités.
Quant aux six entreprises gérant les centrales d’écoutes téléphoniques, elles vont reprendre les 10 000 ordinateurs mis jusqu’ici à la disposition de la police.
"Finalement, pour écarter des petites sociétés privées du marché des écoutes, ils ont fait appel à une grosse société… privée. Tout cela est ubuesque", observe avec amusement un ancien gendarme.
En plein débat sur la moralisation de la vie politique voulue par François Hollande, l’éveil prochain de la PNIJ paraît bien problématique. Par exemple, les gouvernants pourraient-ils avoir accès à des enquêtes en cours les concernant, eux ou leurs proches, en se connectant directement à cette plate-forme ? Nul ne le sait. Le risque est important. Et, d’abord, pour Thales lui-même.
"Même si, techniquement, cette hypothèse paraît improbable, un comité de contrôle de six "sages" va être constitué pour apporter toutes garanties aux citoyens", confie Richard Dubant.
Mais qui surveillera les surveillants ?
Sources : L’Expansion / Owni / Le Journal du Siècle