Marseille : 4 000 malades mentaux dans la rue
La mort de l'étudiant tué d'un coup de couteau, sans doute par un SDF psychotique, met en exergue l'ampleur de la maladie mentale au sein des 12 000 sans domicile fixe de la ville.
Un tiers d'entre eux serait touché
Quarante-huit heures après l'interpellation d'un marginal malade mental, soupçonné d'avoir porté un coup de couteau mortel à un jeune étudiant, les enquêteurs se sont immergés, hier, dans le monde des sans-abri, tout particulièrement les malades mentaux qui y vivent.
L'éventuelle implication de cet homme de 41 ans atteint d'une schizophrénie sévère met en lumière cette population marginalisée et oubliée que peu veulent voir.
Selon les associations qui oeuvrent pour une amélioration de l'accès aux soins des publics désocialisés, 12 000 à 15 000 sans-abri vivent dans la rue dans la seconde ville de France.
Un chiffre énorme à Marseille, une ville de près de 900 000 habitants quand ce chiffre de SDF est évalué à 25 000 pour Paris et sa petite couronne, mais sur une population de 3,5 millions d'habitants.
Les études sont concordantes pour estimer que 30 % des sans-abri marseillais sont atteints de troubles psychiatriques sévères : schizophrénie, bipolarité, dépression sérieuse ou troubles psychiques graves.
La seule schizophrénie toucherait 10 % de cette population très précarisée quand la maladie affecte 1 % de la population générale."Le plus grand hôpital psychiatrique de Marseille, c'est la rue", répètent régulièrement les psychiatres. "Des centaines de patients qui vivent sans toit ne sont pas traités", souligne un soignant en psychiatrie.
Froid, peur de l'agression, rudesse de l'existence... la rue conduit à l'usage de toxiques qu'il s'agisse d'alcool mais aussi de cannabis ou de produits médicamenteux inadaptés. "Le facteur de dangerosité, explique le Dr Jean-Michel Le Marchand, psychiatre de l'équipe mobile de liaison Psychiatrie et précarité de l'hôpital Édouard Toulouse, ce n'est pas la schizophrénie - sauf explosion délirante - c'est surtout cette consommation de toxiques".
Et pour le soignant en psychiatrie, "on a effectivement des gens qui peuvent être dangereux".
Même si, statistiquement, la population schizophrène est six fois moins "agresseur" que la population générale mais trente-deux fois plus "victime".
Des effectifs largement insuffisants
Si la maladie mentale ne prédispose pas à la marginalisation, la vie dans la rue, dans des conditions extrêmement difficiles, peut faire éclore des troubles psychiatriques en veille qui explosent au grand jour.
L'accès aux soins de ces populations est le problème cardinal : il faut aller vers les patients. "Nous allons vers les personnes là où elles se trouvent, dans les foyers, la rue, explique le Dr Le Marchand.
Elles n'ont pas les moyens psychologiques ou sociaux de faire une demande de soins. Ensuite, une fois traitées, les patients n'ont plus de symptômes et, de ce fait, abandonnent les soins".
Les effectifs sont largement insuffisants.
À Marseille, "deux misérables petites équipes font face à cette population importante", celle d'Édouard Toulouse comptant un psychiatre, deux psychologues et deux infirmières, celle de l'AP-HM- Médecins du Monde employant dix salariés. "Nous sommes contraints de choisir qui on soigne. Nous devons grosso modo suivre 20 % seulement des patients.
C'est mathématiquement impossible de faire face à toute cette misère. Dans la rue, on rencontre énormément de malades mais très peu de psychiatres".
Les équipes visent à accrocher les sans-abri à un parcours de soins en l'accompagnant dans un lieu médical du type centre médico-psychologique.
Mais pour ces psychiatres de la rue, la solution passe par le logement des patients, véritable marchepied vers la resocialisation, l'accompagnement social et le traitement des pathologies.
C'est le but de l'étude pilote "Un chez soi d'abord".
Cette opération marseillaise permet à quatre-vingts malades mentaux de quitter les foyers d'accueil ou la rue pour vivre sous un toit.
"Nous avons des réponses qualitatives très satisfaisantes, les équipes font preuve de beaucoup de créativité, en concertation avec les hôpitaux, mais il faudrait passer à la vitesse supérieure".
Luc Leroux
http://www.laprovence.com/article/actualites/2486561/marseille-4-000-malades-mentaux-dans-la-rue.html
Luc Leroux