Livre / Les guerres d’Afrique, des origines à nos jours, de Bernard Lugan
Le 3 août 2013
La littérature connaît depuis des lustres ses écrivains maudits.
Il existe aussi en d’autres domaines des auteurs, en particulier en histoire, qui se trouvent écrasés par le poids du silence médiatique. Bernard Lugan est de ceux-là.
Cet authentique spécialiste de l’Afrique se trouve interdit des grandes antennes.
L’Afrique défraie pourtant l’actualité.
Faut-il parler du Mali, du Soudan, de la guerre qui ravage la région des Grands lacs ?
Le public serait en droit d’entendre les analyses de ce chercheur.
Universitaire, professeur à l’École de guerre à Paris, prodiguant son savoir à l’École de Saint-Cyr Coëtquidan, conférencier à l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), expert pour le Rwanda auprès du Tribunal pénal international, maître de conférences à l’université de Lyon-III, auteur d’une bonne quinzaine de livres consacrés à l’Afrique, Bernard Lugan a un CV éminemment respectable.
Il est l’objet d’une étonnante contradiction. D’une part, les autorités militaires prêtent une oreille attentive à ses analyses : la connaissance d’un long passé explique l’origine de bien des conflits.
D’autre part, il se trouve condamné au silence du fait d’avoir eu l’impudence d’appeler un chat un chat. Il eut ainsi l’audace de transgresser les frontières du politiquement correct en évoquant la déplorable question de la traite négrière. Il montrait que le commerce des esclaves fut une pratique commune sur le continent noir, organisé par des potentats locaux bien avant l’arrivée des Européens.
Lugan aggravait encore son cas en montrant que ce négoce était pratiqué par des négriers arabes.
Dans l’un de ses précédents ouvrages, God Bless Africa, cet amoureux du continent noir montrait que les puissances coloniales ne s’étaient pas enrichies de la sueur et du sang des colonisés, qu’à la suite de la décolonisation, les chefs d’État ayant accédé à l’indépendance sont largement devenus responsables de la lamentable situation de leurs nations.
Il montrait alors que les frontières héritées de la colonisation ont créé des États arbitraires dessinés à coups de règle sur les cartes, faisant fi des réalités linguistiques et ethniques.
Aujourd’hui, Bernard Lugan entreprend la lourde tâche de rapporter, des origines à nos jours, les guerres d’Afrique.
L’histoire de l’Europe fut marquée par d’incessants conflits ; l’Afrique n’échappe pas à la règle. Des empires se créèrent, d’autres disparurent.
Avec les indépendances, le continent s’effondra dans un collapsus généralisé et fut emporté par d’innombrables conflits ethnico-religieux.
L’un des grands mérites de ce livre est l’analyse glaciale des événements. Bernard Lugan raconte, se gardant bien de prendre une position idéologique, ce qui donne à son texte un aspect parfois austère.
En véritable pédagogue, il décrit la réalité du terrain, en montre toutes les ambiguïtés. Un bon dessin valant mieux qu’un long discours, il appareille son ouvrage de nombreuses cartes.
Voici un livre de référence où le lecteur est à même de saisir l’ensemble des conflits actuels qui embrasent ce malheureux continent.